« Pour rien…» Chronique ordinaire d’une arrestation, septembre 2020

 

Terminé, plié, le camion repart, avec lui dedans.
Lui, c’est celui qui certainement –  à défaut d’être noir ou arabe – était un peu trop habillé en noir, lunettes et masqué comme il se doit pourtant, par temps de fin d’été, et de Covid encore…

Marseille, 12 septembre 2020 :
A l’appel de plusieurs collectifs, partout en France, la rue est occupée pour une rentrée sociale qui ne manque pas de sujets de protestation : gestion d’une pandémie toujours plus chaotique, mesures liberticides en pagaille, plans de recul d’acquis sociaux toujours en cours, pas moins de 100 milliards distribués en fanfare pour les entreprises et, comme d’habitude sans contrepartie, et comme d’habitude, sans effets notables sur la vie du plus grand nombre …

Déambulation sauvage sous le soleil de septembre, une joyeuse énergie encouragée par le souffle d’une trompette, le plaisir des retrouvailles collectives dans l’espace public qu’est la rue.
Ce jour-là, j’ai rejoint la manif’ sur la Canebière après un rassemblement au Vieux Port de – m’a-t-on dit – 200 à 300 personnes – encerclées par une pléthore de CRS.
Des jeunes, des moins jeunes, des visages connus ou pas, qu’on reconnaît sous les masques, ou sans les masques.
Parfois des passants se joignent au cortège le temps d’une rue ou plus.
Un cortège qui se meut librement et dévie allègrement au gré des barrages successifs des FDO*.

Parce qu’il faut continuer à protéger les symboles, la lacrymo a fusé une ultime fois derrière la mairie pour en finir avec la déambulation.
Hop, retour case départ : Vieux Port, et « sous l’ombrière s’il vous plaît ! » sera l’injonction fatale.
Car il se trouve que – par tropisme ou bien tout simplement parce que descendre vers la mer est intuitif – une partie du cortège disséminé prend cette direction. Je retrouve ma compère et quelques autres devant La Samaritaine, goûtant le plaisir de l’immobilité après notre promenade urbaine déambulatoire.

Mal nous en a pris, un petit groupe d’uniformes arrive et l’injonction tombe « sous l’ombrière ! ».

…Une fraction de seconde : la réminiscence du surveillant de l’école qui nous demande de nous mettre en rang sous le préau… Pouaaaah… souvenir lointain et vite évacué – tout comme cette école d’ailleurs !…

Certain.e.s, se dirigent d’un pas nonchalant en direction de la fameuse ombrière, je traverse de l’autre coté de la rue, je me retourne pour voir ce que fait ma compère et, oh stupeur ! je vois qu’elle a dégainé son portable – équipé d’une caméra – et qu’elle filme :
mais qui, quoi ? Il ne se passait rien, à part le calme, et aucun son ne m’est parvenu du bout de mon trottoir .

La scène, c’est un jeune homme de noir vêtu des pieds à la tête -avec nous 2 mn avant- qui se retrouve encadré par trois ou quatre FDO : fouille, palpation, les papiers sont retenus, un camion arrive, ils le font monter dedans, ça dure.
Un passant me demande ce qu’il se passe, je lui réponds : « La triste banalité du quotidien en manif’ : quelqu’un qui va probablement se faire embarquer parce qu’il ne faut pas rentrer le camion à vide… j’espère qu’il n’y aura pas de violences à son encontre. »

En fait, B**. s’est fait embarquer car « il a des pierres dans ses poches » dixit un uniforme.
Ah oui ??
Bizarre, de mon trottoir, j’ai rien vu ; manifestement les personnes qui ont assisté à la fouille non plus, les images non plus…
Mais surtout la fermer, ne rien dire, quand l’autre, le copain qui filme, ose exprimer dans un calme absolu que c’est pas vrai cette histoire de pierres, il se prend en pleine face l’aboiement d’un des robocops :
« Quoi ? tu dis que je mens, moi, je mens ?!!! », agrémenté d’un « Pôv’tâche » avant que ses collègues ne le retiennent.
Ses yeux électrisés par la rage en disaient long sur ses intentions et la suite, s’il n’avait été contenu…

B. est sorti le lendemain du commissariat sans charges retenues contre lui ; ni port d’armes blanches (pierres ou autres), ni rien…

Pour rien, il n’aura pas dîné avec sa femme et son enfant, pour rien il aura passé la nuit dans une cellule, parce qu’il était dans la rue à manifester, avec moi, avec d’autres, et ce, pour tant de raisons.
D.

* FDO : Forces de l’ordre
** : l’initiale du prénom a été changée

Photos : Flora