Bouillon de confinement

Marseille, le 21 mars 2020. Confinée, comme la grenouille à petit feu, mais plus vite, j’entre en ébullition. Quelques bulles remontées hier des tréfonds de mon cervelet, agité par l’actualité, qui se percutent par la magie des courants associatifs.

Bulle 1. Documentaire. Le retour de la biodiversité sur la bande frontalière d’antan entre les Allemagnes de l’Est et de l’Ouest. Sur certaines portions de terrain, des arbres âgés de 25 ans, tout pas beaux, mais déterminés à vivre quand même, atteignent péniblement le mètre de haut. Leur sol nourricier avait été imbibé de produits chimiques par les soldats de la RDA : la végétation leur gâchait la vue pour viser, dans le no man’s land.

Bulle 2. Interview de Jean-Michel Bertrand, réalisateur de Marche avec les loups, tendre film sur un jeune en goguette pour aller fonder une nouvelle meute, aouououh ! Ce qu’il me dit sur la diabolisation des animaux sauvages réveille une vieille intuition, qui se transforme en pressentiment fatal. Au lieu de réfléchir sur la place à rendre aux autres espèces, l’humanité va prendre prétexte des zoonoses* pour décider qu’il est temps de décimer radicalement le vivant, et ne garder que le saumon d’élevage gavé d’antibiotiques, le poulet aux hormones – et les animaux « de compagnie », pour éviter un soulèvement en charentaises.

Bulle 3. Dès que j’ai reçu les 15 messages bien intentionnés m’informant qu’on serait « tous aux fenêtres à 20h pour clamer nos remerciements aux soignants », j’ai commencé à avoir quelques aigreurs. Entendre mon quartier battre la casserole provoque chez moi un effet de rencognement/renfrognement. Renforcé ce matin par l’annonce que l’archevêque de Marseille ferait sonner les cloches à la Bonne Mère afin de participer à la cérémonie. Sans blague. Il ne manquait plus que la religion ! Je l’ai pas vu en manifestation, ce curé, quand il y a trois mois les infirmières et les pompiers se faisaient gazer par les CRS parce qu’ils demandaient à pouvoir bosser correctement. Il y a un doigt d’honneur du personnel médical qui circule sur les réseaux sociaux, adressé à tous les applaudisseurs ayant laissé faire Macron et ses sbires sans gueuler. Merci, merci au graphiste inconnu, aux dessinateurs, aux graffeurs de slogans inventifs qui font mon réconfort dans ce quotidien claquemuré, avec leur féroce inventivité, parce qu’elle entre en résonance avec mon irritation.

Bulle 4. Mes voisins du dessus sont cons. Il leur arrivait, en temps d’avant le Coronavirus, de débouler au milieu de la nuit, foutre la musique à fond et brailler. Quand je leur ai fait la remarque que ça faisait vibrer mon oreiller, ils m’ont claqué la porte au nez. Depuis les mesures gouvernementales, c’est interdit de recevoir chez soi des connaissances en chair et en os. Mes voisins, qui doivent avoir la capacité à rester seuls d’un pois chiche, ont ni une ni deux enfourché la nouvelle mode : l’apéro virtuel. Par le conduit de la cheminée, j’ai entendu les basses commencer à irradier l’immeuble. Un bouchon péter. Un air connu : « Stayin alive etc… » Bon sang mais c’est bien-sûr me suis-je dit. Il ne leur reste que la convivialité virtuelle pour se sentir vivants, c’est via Skype qu’ils vont chauffer l’ambiance, seul le vin et la gueule de bois du lendemain étant réels. Factice et pathétique. « Complètement con », a préféré résumer mon fils.

Bulles 5 et 6. À la radio, la voix d’un drone sur une plage. « Ici la gendarmerie. Vous n’avez pas le droit de circuler. Rentrez chez vous, à défaut, vous serez sanctionné », dit-il peu ou prou**. Comme la gueule de bois, les amendes, elles, ne sont pas virtuelles. En Seine Saint-Denis aussi, ce sont de vrais flics qui ont fait un plaquage ventral à une dame parce qu’elle n’avait pas son attestation de sortie***. On ne sait pas si ils lui ont postillonné au visage. Il paraît qu’on manque de masques.

Garaelle

* Affections transmissibles des animaux à l’homme. Là dessus, il y a un texte intéressant de Sonia Shah dans le dernier numéro du Monde Diplomatique : Contre les pandémies, l’écologie. Extrait : « En dépit des articles qui, photographies à l’appui, désignent la faune sauvage comme le point de départ d’épidémies dévastatrices. il est faux de croire que ces animaux sont particulièrement infestés d’agents pathogènes mortels prêts à nous contaminer. En réalité, la plus grande partie de leurs microbes vivent en eux sans leur faire aucun mal. Le problème est ailleurs : avec la déforestation, l’urbanisation et l’industrialisation effrénées, nous avons offert à ces microbes des moyens d’arriver jusqu’au corps humain et de s’adapter. »

** J’ai pas retrouvé l’émission. Là, une vidéo.

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