Harcèlement aux amendes

Quotidien d’une militante durant les confinements à Marseille au travers d’une trentaine d’amendes (de mars 2020 à juin 2021) et d’une comparution au pénal en février 2022 pour ça. J’essaie de décrire les faits et vous dire comment je défends mes idées face à la répression pendant cette crise sanitaire.

Qui Vive relaye ce récit. La personne qui le livre souhaite rester anonyme. 

Me voilà à un week-end avant mon passage au tribunal pour des amendes de confinement de avril 2020 à juin 2021. Convoquée le 3 février au matin à Marseille.

Petit retour en arrière, j’ai reçu un courrier en novembre 2021 m’annonçant que je devait aller chercher une citation pour jugement au pénal. Grand retour en arrière, mars 2020, « si on veut m’enfermer il faudra me passer les menottes avant ! » Non, pas moyen, je vais pas m’auto-enfermer, sérieux ! Période sombre… Entends-tu le bruit des pantoufles ? Bref. Une amende. Je décide que je paierai mes amendes, que j’assumerai jusqu’au bout mes convictions. 135€ l’heure de soleil ! Puis deux, trois, quatre, cinq, six, quinze, seize. Pas de masque, pas d’attestation, pas dans le bocal d’un kilomètre autour du domicile assigné. Et je vous passe toutes les réflexions infantilisantes, culpabilisantes, patriarcales. Je les paie car c’est mon moyen de revendiquer mes convictions face à la répression grandissante. De dire on n’a pas peur.

Petites précisions sur ma situation perso : mère seule de deux enfants de 7 et 9 ans, au chômage, 1250€/mois sans pension alimentaire, loyer 525€, Quotient Familial 511€, puis fin de chômage, passage ARE avril 2021, 524€/mois, pas de complément RSA. Deux fois radiée de Pôle Emploi sans indemnité, deux fois gain de cause, mise en demeure de Pôle Emploi. Juillet 2021 déménagement, blocage de dossier CAF dans le 13, sans indemnité CAF jusqu’en décembre 2021 soit cinq mois sans CAF, seul revenu 524€ Pôle Emploi. Décembre rattrapage APL mais pas de rattrapage RSA, 339€ à partir de novembre. Toujours 524€ d’ARE.

« Leurs lois sont immorales, ma délinquance a des principes »
Bref, les flics commencent à en avoir marre ; à la base déjà ils m’aiment pas trop, mais bon c’est réciproque… trois petits points… 135€ le chiffre de l’année… Je paie bien toutes mes amendes, suis prête pour la récidive, je n’avancerai pas masquée. Je me rappelle des pleurs de mes filles quand je leur ai dit un après-midi que voilà j’avais beaucoup d’amendes et que là-haut, iels venaient de pondre une loi et que la récidive était passible de tôle. Mais je « préfère la liberté dangereuse à l’esclavage paisible ». « Qui ne bouge pas ne peut sentir ses chaînes ». « Leurs lois sont immorales, ma délinquance a des principes ». Pendant que des personnes survivent à la rue non-confinées, subissant chaque jour, chaque minute, violences systémiques et physiques, risquant de mourir de froid, de faim, elles se font arrêter pour non-confinement, pour pas qu’elles courent le risque de mourir du corona ! Mais quelle blague. Pendant que les soignants, les plus précaires, se tuent à la tâche, on oublie que lors des manifestations pour les réouvertures de lits ou pour arracher que l’on respecte le droit à la dignité, on se faisait fracasser par le bras armé de l’état. « C’était plus facile de fournir le lacrymo aux CRS que des masques aux hôpitaux ». « Tu es le bras de l’idée et cette idée sans toi n’est qu’une idée ».

Que les ancien.nes meurent seul.e.s chez elleux ou oublié.e.s dans les EHPAD. Que la jeunesse crève la bouche ouverte dans leur 9 m² devant Zoom. Que les femmes battues se retrouvent enfermées avec leur tortionnaire, que les féminicides augmentent. Que les familles les plus pauvres se retrouvent en surnombre dans leur logement souvent insalubres (une pensée au huit mort.e.s de la rue d’Aubagne), non plus après l’école mais toute la journée, n’ayant plus accès à la cantine (parfois seul repas de la journée pour les enfants), et avec des parents qui s’improvise profs (quiz de l’égalité). Enfin… Je continue à faire les choses comme je peux, sachant que je ne suis pas la plus à plaindre. « Je fais à contre courant car à contre cœur je peux pas ».

Après un confinement, les attestations, les couvre-feux, les libertés de circulation restreintes… Février 2021, avis de saisie sur compte… Je comprends pas, j’ai tout payé… Ah tiens ! Deux amendes majorées… Ça alors, je les ai jamais reçues… Je conteste… (car si j’assume quand je suis hors-la-loi, je ne paierai pas pour l’acharnement, je compte en faire quelque chose pour le démontrer). Une amende retour taux initial et l’autre, pas de nouvelles. Avril 2021, avis de saisie sur compte encore ! Ah, toujours celle que j’ai contestée et pour laquelle je n’ai pas de nouvelles. Et cinq autres ! Jamais reçues aussi ! Le même jour au même endroit.

Petite histoire : il était une fois pendant la crise sanitaire, décembre 2020, des flics qui viennent mettre à la rue, déloger, des personnes qui avait trouvé refuge, un toit. D’autres personnes qui n’étaient pas loin s’en mêlent pour dénoncer cette évacuation de squat, au passage expulsion illégale, s’il faut jouer sur leur terrain, allons-y (les squateu.rs.ses arreté.e.s et jugé.e.s auront une annulation et relaxe). Voici les cinq amendes : non-port du masque – tapage injurieux – assistance à personne faisant tapage injurieux – défaut d’attestation – participation à manif interdite.

Bordereau de situation
Re-petite histoire : janvier 2021 : trois personnes s’étaient réunies place Jean-Jaurès, beau soleil, une bière, de la musique on écrit un texte. Une vielle dame passe avec son caddie de courses, deux agents se jettent sur elle parce qu’elle n’a pas de masque… Elle leur dit je vais le mettre en se baissant pour l’attraper dans son caddie. Là, les flics la saisissent par le bras et lui disent qu’elle ne l’a pas et la verbalisent. La dame a les larmes aux yeux et le flic la bouscule ! Oh ! Une vielle dame qui n’a pas peur de mourir et qui ose défier l’autorité en respirant sans masque sur une immense place publique déserte en sortant du petit Casino ! Je leur dis de la laisser tranquille, qu’elle ne fait de mal à personne, qu’ils lui font mal, et que c’est pas la peine de lui mettre l’amende, qu’elle essayait de mettre son masque.

Un des agents me saute dessus et me dit qu’il va aussi me mettre une amende pour non-port du masque, je lui réponds que je fume et ne peux avoir un masque en fumant. Ça crie, ça s’énerve ! Le docteur dont la fenêtre donne sur la scène s’la ramène et nous traite d’irresponsables, je le traite de collabo et me mets à chanter la chanson Interlude de Soso Maness qui passe, allez hop, arrestation, outrage, GAV. Donc ils ont toutes mes coordonnées ? Non ? Ben cette amende-là non plus je la recevrai jamais et j’en prendrai connaissance via mon bordereau de situation en mai 2021.

Bordereau de situation : petit papier magique que toute personne peut réclamer auprès du centre trésorerie amende de sa ville. Recense toutes les amendes majorées que vous avez eues, payées ou pas. J’ai appris son existence lors des saisies sur compte. En gros, toi tu sais pas que tu as eu des amendes, on ne t’en informe pas, il faut que tu aies une saisie sur compte pour que tu te renseignes et puisses te défendre, mais elles sont déjà majorées.

Allez on continue ! On en est à sept amendes sur onze ? Ben non en fait, parce que j’ai mon bordereau de situation de juin 2021 dans les mains et il y a seize amendes majorées détaillées dessus. Les sept précédentes que je vous ai comptées ci-dessus, et voilà le reste. Tir groupé de trois amendes, le même soir de fin janvier 2021 au même endroit. On est là pour tourner un clip, le tournage commence , les flics arrivent, contrôles arrestations, gazages… Une meuf se fait contrôler elle s’est fait voler la veille son sac et n’a plus de papiers. Les flics ne la croient pas et la fouillent (est ce que j’ai besoin de préciser que c’est deux flics hommes qui fouillent, attouchent physiquement une femme ?). On est plusieurs à s’interposer, on se fait défoncer !… Normal quoi ?! Non ?

Pour le reste, après cela, j’ai pas tout suivi, car l’un des agents, celui de la petite histoire de la vielle dame, m’appelle par mon nom et prénom, et dit à ses collègues c’est elle l’outrage (j’ai pas encore étais jugée au passage). Et quelques secondes plus tard, je me retrouve avec sa bombe de gaz DANS la bouche… Je m’étouffe, je suffoque, je sens descendre le liquide dans mon ventre, dans mes bronches, je ne peux plus respirer ça brûle ! Je ne peux plus ouvrir les yeux, je ne sais pas où je suis, il n’y a plus d’air qui passe. Le tournage a commencé à 18h, il est 18h30, je n’ai pas été contrôlée, je n’ai pas donné mon identité, j’ai l’impression que je vais crever.

Mes amis me secourent, les voisins descendent pour nous soigner. 19h15, après avoir repris un peu nos esprits plus haut sur le cours Julien, on part en voiture. Résultat trois amendes, deux pour non-respect du couvre-feu à 18h30, et une pour non-port du masque à 19h44. Je vous laisse déduire… Je recevrai deux amendes sur trois que je conteste. Pour l’autre, toujours au courant avec le bordereau.

Acharnement
Allez, encore un tir groupé, quatre amendes le même jour de février 2021, lors d’un rassemblement contre l’évacuation d’un squat ou vivent des dizaines de personnes (pendant la crise sanitaire, pendant la trêve hivernale). Rassemblement de plusieurs petits groupes de six personnes max, deux amendes pas de masque, deux amendes rassemblement interdit. Un ami partira en GAV cet après-midi là. Je faisais partie d’un groupe de deux personnes, allez une amende, oui une seule ! Pour stationnement en double file, quel rapport me direz-vous ? Ben en fait, je dépose quelqu’un à la poste, une patrouille passe en voiture. Le flic du gazage et de la vielle dame est dans la voiture, il rigole, et hop arrêt de 30 secondes, 135€.

Allez on retourne à nos masques ! 135€ pour non-port du masque pendant que je fume une clope. Toujours le même flic, qui me surveille de l’autre coté de la route avec ses potes flics et ils attendent que j’allume une clope, plus précisément que je la roule, pour venir me reprocher de ne pas avoir le masque et me verbaliser. Le flic rigole pendant que l’autre me verbalise. Et voilà on en est à seize. Les seize amendes que j’ai décidé en juin de porter devant le DDD pour faire trace, parce que malgré toutes mes contestations je n’ai jamais eu de nouvelles de l’OMP.

DDD : défenseur des droits, personne qui doit « veiller au respect des droits et libertés » – article 71-1 de la Constitution.
OMP : L’Officier du Ministère Public « exerce les attributions dévolues au procureur de la république devant le tribunal de police. »

Du coup, j’ai reçu ma citation à comparaître pour onze amendes sur seize que j’ai portées devant le DDD. Sans avocat car je veux continuer à croire en une justice populaire. Y a pas de raisons qu’une personne doive payer pour avoir un.e bon.ne avocat.e ou soit obligée de remplir une aide juridique donc de demander à l’état de ‘l’aider’ pour pouvoir se défendre. Populaire dans le sens où l’on peut faire ensemble, on peut ensemble assumer nos convictions. Je tiens à remercier d’ailleurs celleux qui étaient à mes cotés tout ce temps, qui m’ont supporté et qui ont fait que je n’ai pas craqué. On sait pourquoi on fait c’qu’on fait ! Pour être honnête, je suis épuisée mais c’est beau.

« Ils ont le chiffre on a le nombre », il faut accepter de perdre pour pouvoir gagner ! En préparant mon dossier, parce que du coup je passe sans avocat, j’ai redemandé mon bordereau. Vous pensez que c’est ok ? Ben non ! Encore trois amendes de plus, non-reçues évidement, et majorées bien sûr ! Deux dont je ne trouve aucune trace sur Antai. J’ai fait des recherches sur Antai avec le dossier infraction pour chacune des amendes, ce qui m’a permis de regrouper et avoir les preuves quant à ce que j’avance sur le harcèlement des agents. En effet, sur ce dossier vous avez tous les détails de l’amende, date, heure, agent verbalisateur, code de service, état de contestation. Pratique quand on a pas reçu les amendes. Ce qui est mon cas pour treize amendes sur dix-neuf contestées.

En lisant mon bordereau il semblerait aussi que neuf amendes aient été annulées. Sans que j’en sois informée, et ce qui n’empêche pas que je vais devoir faire trois heures de route pour me rendre à Marseille pour comparaître mercredi matin à 8h45. Mes filles n’ayant pas école, elle seront gardées par ma cousine (et j’ai la chance d’avoir un moyen de garde). Donc avec ce bordereau de janvier 2022, il y a les deux amendes introuvables et une pour non-port de ceinture. Vous me direz encore, quel rapport avec le confinement à part les 135€ ? Eh bien le harcèlement militant, car vous allez deviner qui était là encore une fois, quand j’ai pris l’amende sans même me faite contrôler ? Eh oui, le même agent et même si ce n’est pas son matricule, c’est toujours le même code service de son équipage.

Voila voila, je passe donc mercredi 3 février au tribunal de Marseille. Je vous tiendrai au courant… J’espère que tout cela servira, vous donnera du courage et de la détermination. La rage et la dédramatisation de prendre une amende. Nos convictions ont un coût, et celui-là n’est rien comparé à celleux qui on perdu un œil, un membre, qui se battent pour leur liberté au Rojava, en Palestine, en Amérique du Sud, comparé aux Ouïghours, aux Rohingas, et je ne peux malheureusement pas tous tes les citer. Pour celleux qui on perdu la vie, parce que femmes, parce que trans, parce qu’homosexuel.le.s, parce que prostitué.e.s, parce que révolté.e.s. Reposez en paix.

« Va où ton cœur te porte camarade ». « Le système pue la mort assassin de la vie ». « Plus le combat est long, plus la victoire et immense ». « C’que vous nous proposez c’n’est pas la vie c’n’en n’est qu’une maladie dérivée, moi ne pas être c’brave petit toutou qui vous jura fidélité, c’que vous proposez c’n’est pas la vie no. Vous en assassinez l’idée, moi bien trop aimer la vie pour laisser cet av’nir à mes petits héritiers ».

Texte : Une Militante

Photos : J.C.S.