N’importe quoi (épisode 4)


12 – Camping mortel

« …l’enculé ! »
(Expression calédonienne typique)

Il est huit heures du matin au camping absolument vide de Netcha. J’erre parmi les farés1 déserts, en slip et en me grattant l’entrejambe, privilège du campeur esseulé. Est-ce laid d’ailleurs de se gratter là quand il n’y a personne pour nous voir ? Je me posais la question ce matin-là, plein de philosophie et de courbatures.

Les terres du Grand Sud sont ocres, mes pieds sont ocres, mes fringues sont ocres, et ainsi de suite. Il n’y a pas de douche dans ce camping. Même les chiens errants couverts de puces de Kanaky s’écartent de moi en prenant un air dégoûté. Non mais pour qui se prennent-ils ! Je pense soudain à la Chine, une de mes prochaines étapes, et je me mets à ricaner sournoisement en regardant les chiens…

Je suis en train de chercher la rivière des Lacs et bien entendu elle s’est déplacée pendant la nuit. Il me faut vingt minutes pour la trouver alors qu’hier elle était à cinquante mètres. « Encore un coup des indépendantistes » je me dis, le plus sérieusement du monde. Il est huit heures vingt et la température est de trente cinq degrés à l’ombre, ce qui me parait louche. « Encore un coup des indépendantistes » me redis-je, mais cette fois j’y crois moins. J’ai un accès de nostalgie en m’imaginant emmitouflé dans un gros anorak, en train de marcher dans la neige des Alpes… Il faut dire que je n’ai pas encore digéré le coup de l’été qui démarre le 21 décembre !

J’arrive enfin à la rivière. Après une courte baignade, je donne du pain aux poissons, qui sont très gentils (surtout la maman) et je les imagine au citron et au barbecue. Mais je n’ai pas de citron et j’ai rien trouvé pour les buter, alors je les nourris en attendant de trouver.
Je passe également voir la chute de La Madeleine, pour constater que c’est une chute classique : l’eau tombe du haut vers le bas, et voilà, fin de l’histoire.

Cette nuit au camping de Netcha était inoubliable. Chaque emplacement était composé d’un faré contenant une table en bois au centre, et d’un carré de terre rouge pierreuse attenant sur lequel traînaient quelques touffes de pelouse et de chardons, en guise d’oreillers supposais-je. N’étant pas fakir dans l’âme, nous avons donc tous dormi, mon duvet, ma centaine de moustiques et moi, sur la table en bois. Pendant la nuit, j’ai rêvé que je donnais mon sang à une centaine de petits enfoirés qui soi-disant en avait besoin. A chaque fois que je voulais attraper le produit anti-petits enfoirés, Mère Térésa sortait de sa tombe pour me regarder d’un air lourd de reproches.
Ce matin j’étais donc pourvu d’une centaine de points rouges !

C’est pourquoi, après avoir nourri des poissons sans pouvoir en bouffer un seul, après avoir bu un café tiède sans sucre dans une boîte de salade de thon au maïs, après m’être définitivement brouillé avec les chiens errants du coin, après avoir fait tomber mon tabac (sans blague) dans la rivière, après avoir enfin philosophé au ras du sol sur le grattage d’où vous savez, j’ai décidé de quitter la brousse pour Nouméa, tel un voyageur fougueux soudain moins fougueux.

13 – Nouméa Culpa

« Pauvreté n’est pas vice, couac… »

Pour celles et ceux qui l’ignorent, Nouméa est LA grande ville de Kanaky. Elle présente de nombreux points communs avec Paris : même taux d’imbéciles, prix exorbitants, embouteillages infernaux, plages pour couillons…
La différence principale, c’est que Nouméa est à plus de 1800 kilomètres de la moindre ville intéressante, alors que Paris n’est qu’à 750 kilomètres de Marseille !

À mon arrivée, une grève des travailleurs du nickel débute, bloquant Nouméa pendant près d’un mois. Ensuite, un incendie d’origine gredine éradique 200 000 hectares de forêt en dix jours. Précisons que les pompiers d’ici luttent contre le feu essentiellement à l’aide de… leur bonne volonté.

Les blancs-becs du coin m’avaient beaucoup parlé de la violence des Kanaks, notamment quand ils ont bu, tout ça, tout ça. Et en effet, j’ai été agressé un soir par une bande de Kanaks qui tenaient absolument à ce que je goûte la marijuana locale. Depuis j’ai erré dans les rues la nuit en espérant être agressé à nouveau.
Un autre soir, à la fin d’une fête en plein air, un Kanak a essayé de voler une voiture, mais comme il était aussi bourré que les blancs, il a démarré en marche arrière et a fini dans un fossé dix mètres plus loin.
Enfin, un Kanak (toujours eux !) m’a interpellé un jour que j’étais en voiture pour me demander de rouler moins vite.
Bref, Nouméa est une ville dangereuse, surtout en ce qui concerne les incendies de forêt.

Après une semaine, j’ai jugé cette ville comme étant superficielle et sans intérêt, puis une Kanako-Vietnamienne a insisté pour m’amener dans son lit, et dés lors je suis revenu sur mon jugement. Mais quinze jours plus tard, nous avons rompu avec fracas et je suis revenu à mon premier jugement (et dans mon lit). Puis une semaine après j’ai rencontré des gens très sympas alors je suis revenu…, et ainsi de suite.

Je fonctionne souvent comme cela. Pas vous bien sûr, qui avez sans doute des opinions réfléchies et mesurées. Mais pour ma part, j’ai tendance à porter des avis globaux sur tout et sur rien pour un rien (ou pour une femme mais bon, on va pas commencer à tripoter les détails2).
Le point positif c’est que j’ai peu d’opinions qui soient vraiment figées. L’inconvénient, c’est que je suis vraiment con comme mec !

Ceci étant dit, c’est surtout pour les autres que c’est pénible, quand ils doivent écouter mes innombrables opinions éphémères sans possibilités de fuir. Aussi je demande pardon à tous les gens que j’ai connus, que je connais et que je connaîtrai.

(à suivre)

1 – Faré : sorte d’abri Kanak, et plus généralement une habitation polynésienne traditionnelle… mais au fait, t’as pas le dico chez toi ?
2 – Cette saillie humoristique, dans laquelle la finesse le dispute à l’imbécillité dans un combat perdu d’avance par la finesse, est surtout révélatrice du machisme typique que l’on peut rencontrer chez le mâle français né dans la seconde moitié du XXe siècle. Je précise cela non pas pour me disculper, mais pour que vous compreniez bien que tout est la faute de ma mère, de mon pays, et du XXe siècle.