De si splendides créatures – Chapitres 1 et 2

Qui Vive publie un conte ! Avec du sexe, de la violence et de la politique ? Hummm, on vous laisse le découvrir. En tout cas, il y aura des dragons.
Chaque semaine, seront publiés un ou plusieurs chapitres. Il y en a 16 en tout, cela devrait nous emmener au-delà du confinement.


CHAPITRE 1

Il était une fois, dans un pays lointain, bordé de hautes montagnes infranchissables, un roi qui avait trois fils. L’aîné, Théodore, était, depuis son enfance, sous la férule de son père et de dignes précepteurs, car il était l’héritier du trône et devait être formé à son futur rôle. Le deuxième, Ismaël, aurait dû être une fille. Il avait donc été laissé à la garde de la Reine et de ses suivantes. Beau, languide et dépourvu de toute virilité, il se passionnait pour le jardinage des fleurs, la mode et la musique. Enfin, le dernier, Azur, n’intéressait pour l’instant, aucun de ses augustes parents. On ne lui interdisait ni de jouer avec les enfants du palais et du village, ni de consulter livres et grimoires de l’antique bibliothèque de ses ancêtres, ni de cavalcader sur son cheval Maximus, accompagné par son chien Alfred, ni de se baigner par tous les temps dans les ruisseaux qui descendaient des montagnes.

Il avait rencontré, dans ses errances, un vieil ermite, qui habitait, comme il se doit, dans une grotte, et vivait de chasse, de pêche et de cueillette. D’abord distant et quelque peu agacé par ce garçon, il s’amadoua. Azur lui apportait des fruits ou des gâteaux, chapardés en cuisine. Le vieil homme lui enseignait la poursuite silencieuse du gibier, le dressage des chiens, le tir à l’arc, la connaissance des plantes, des animaux, du climat et des étoiles, et lui contait des histoires de dragons, ce dont Azur raffolait.

Lorsqu’il eut quinze ans, l’ermite s’affaiblit peu à peu, n’acceptant pas de quitter sa grotte ni d’être soigné au dispensaire du Palais. Le soir qui précéda sa mort, il attira contre lui Azur, lui baisa le front, le remercia, en peu de mots entrecoupés, des belles années qu’ils venaient de vivre ensemble, et sortit de sous son oreiller bourré d’herbes et de feuilles, un petit sac qui ne payait pas de mine. Mais lorsqu’il l’eut dénoué de ses doigts affaiblis, il en tira une pierre bleue. Sous le regard médusé de l’adolescent, la pierre émit une minuscule lueur, qui s’intensifia au point de lui blesser les yeux.

« Je te confie cette gemme magique. Elle a de multiples pouvoirs, que tu découvriras en temps utile. Ne la montre à personne. Ni au village, ni au palais. Elle te sera d’un grand secours, si jamais ton projet d’aller chasser les dragons se réalise. »

Azur plaça précautionneusement le sac au fond de sa gibecière et resta toute la nuit au chevet de son ami, qui mourut à l’aube. Il l’enterra, comme il l’avait promis, sous le plus bel arbre des environs, et s’en retourna au palais. Maximus marchait au pas, et Alfred les suivait, la tête basse, au lieu de vagabonder comme de coutume. Azur s’enferma tout le reste de la journée dans sa chambre, petite et simplement meublée, contrairement à celle de ses frères. Il voulait pleurer l’ermite, son seul vrai ami, en paix.

Le lendemain, il demanda à s’entretenir avec le Roi son père, lequel le fit longtemps attendre, dans l’antichambre réservée aux quémandeurs. Ce mépris ne le vexait ni ne l’attristait. Enfin, arriva son tour d’être introduit dans les appartements royaux. Son père était assis sur un trône antique. Azur n’eut droit qu’à un bref salut, après qu’il eut fait, tant bien que mal, une révérence.

« Qu’avez-vous donc de si important à nous dire, fils puîné ?

– Père…Majesté…je n’ai eu que très peu souvent l’occasion de vous voir. Vous êtes si occupé, avec le royaume, la cour, les visiteurs étrangers, et Théodore… Je souhaiterais vous entretenir de mon avenir.

– Votre avenir ! Vous auriez donc un avenir ?

– Comme tous les humains, je pense, mon père. »

Azur serrait dans sa main gauche la gemme bleue et à sa grande surprise, il n’éprouvait ni honte, ni peur, devant le monarque. Il parlait clairement et sans effort.

« Or donc, votre avenir ? Auriez-vous décidé de vous rendre utile, au lieu de baguenauder en tous lieux ou de hanter la bibliothèque ?

– Je souhaiterais, mon père, être formé par vos officiers, afin de partir guerroyer contre les dragons. »

Le roi eut un visible sursaut.

« Que savez-vous donc des dragons, jeune impudent ?

– J’ai ouï dire… et j’ai lu dans de certains grimoires, que, jadis, ils infestaient les montagnes, et venaient razzier villes et villages du royaume.

– Mais encore ?

– Que nos valeureuses armées en étaient venues à bout, après de très nombreux combats et de multiples pertes. Que ces monstres nous avaient laissés en paix, ou presque, depuis votre avènement, mais…

– Quoi donc ?

– Ils auraient repris leurs raids, aux confins du royaume. Je désirerais lutter contre ce fléau.

– Ignorez-vous que nous avons une armée d’officiers et de soldats superbement entraînés et valeureux ?

– Non, mon père.

– Alors, pensez-vous qu’un freluquet de votre espèce y a sa place ?

– Majesté, je suis encore très jeune, mais déjà solide et endurant. Ne pouvez-vous m’autoriser à suivre l’entraînement des jeunes recrues ?

– Cet entraînement est d’une rudesse extrême. Beaucoup n’y résistent pas. Fort bien, je consens. Nous verrons ce que vous valez. Présentez-vous demain, à la première heure, ici même. Un de mes meilleurs officiers vous prendra en charge.

– Je vous remercie bien sincèrement, mon père, de votre obligeance. »


CHAPITRE 2

Le lendemain, lavé et vêtu de ses vêtements les plus neufs, qu’il imaginait convenir à cette inspection du maître d’armes, Azur dut attendre de nouveau dans l’antichambre. Il avait placé la gemme dans la proche la plus profonde de son habit et il y plongeait souvent la main et la serrait vivement, pour se raffermir le cœur.

Trois personnes l’accueillirent dans les appartements royaux : le Roi, toujours assis sur le trône, l’air glacial et ennuyé, un très grand homme aux courts cheveux gris et aux yeux bleu vif, habillé comme un soldat, hormis un col de fourrure sur lequel brillait une étoile d’or (distinction d’un courage hors du commun, apprit-il plus tard) et son frère Théodore, richement vêtu, qui l’examina avec suffisance.

Ayant fait une révérence devant chacun d’eux, en commençant par son père, bien entendu, Azur se redressa et attendit qu’on lui adressât la parole. Sur un signe du roi, l’officier s’approcha de lui, tâta ses épaules, la fermeté de son ventre, les muscles de son dos, de ses cuisses et de ses mollets, et lui demanda brusquement :

« Montez-vous correctement à cheval et avez-vous des notions de tir à l’arc et du maniement de la lance et de l’épée, jeune prince ?

– Pour la lance et l’épée, je n’ai malheureusement jamais eu l’occasion d’en user mais je chevauche depuis mon plus jeune âge et suis habile au tir à l’arc.

– Nous verrons cela à l’exercice, dans un moment. Pour le reste, cela importe peu, rares sont les apprentis qui en ont l’expérience lorsqu’ils débutent dans le métier. »

Il hocha la tête en direction du roi et du prince, avec une désinvolture qui stupéfia le garçon, et reprit place à leurs côtés. Ayant médité un moment, le roi déclara, en regardant, non Azur, mais son fils aîné :

« Le prince Théodore m’a fait une proposition, que j’estime, ma foi, opportune. Il pense qu’avant d’être autorisé à suivre l’entraînement de soldat des dragons, vous devriez subir une épreuve.

– Et…quelle sorte d’épreuve, mon père ?

– Voyons… Je suis sûr que l’existence de la salle des tableaux vous est inconnue, car son secret est bien gardé et ne se transmet que de roi à héritier. Toutefois, certains de mes officiers en sont informés, et ont même subi cette épreuve. Deux soldats parmi les plus sûrs gardent en permanence les portes de cette salle, sans savoir ce qu’elle contient.

– Autrefois, on leur eût coupé la langue, intervint Théodore, en souriant d’un air malveillant.

– Je n’en fus jamais informé, pour ma part, dit Azur, en baissant les yeux pour ne plus voir le visage de son frère, qui le révulsait brusquement.

– Elle est plongée dans l’obscurité la plus totale, reprit le roi, mais lorsque nous vous y enfermerons, vous verrez des merveilles, assez effrayantes pour ôter leur entendement à presque tous ceux qui y séjournèrent. Certains ne s’en sont jamais remis.»

Azur serra la pierre bleue au fond de sa poche et réussit à ne pas s’émouvoir d’une telle description.

« Est-ce donc mon courage que vous souhaitez mettre à l’épreuve, Prince Théodore ? Puis-je demander s’il arrive que les futures recrues y soient soumises ?

– Avez-vous compris ce que j’ai déclaré à l’instant ? tonna le roi. Seuls certains officiers connaissent l’existence de cette salle, parce qu’ils sont les seuls à y avoir pénétré. Les meilleurs ont résisté… du mieux qu’ils le purent ! Si vous en sortez indemne, après une nuit de solitude, j’envisagerai, non seulement que vous appreniez le métier de soldat des dragons, mais que vous rejoigniez, dès que possible, le corps des officiers. Car enfin, vous êtes notre fils ! »

Azur, rendu muet par le plus long discours jamais adressé à lui par son père, salua mécaniquement.

« Acceptez-vous cette épreuve ? demanda Théodore, avec l’air d’en douter.

– J’accepte.

– Alors, termina le roi, vous serez prévenu de la date que nous choisirons. Tenez-vous prêt !  Pour l’heure, veuillez suivre Monsieur de Payzac, afin qu’il puisse juger de vos aptitudes. »

Ayant revêtu un costume adapté, jambières, bottines et veste de cavalier, muni de l’arc que l’ermite lui avait confectionné, lequel fut examiné sans un mot par l’officier, qui en parut satisfait, Azur demanda à un valet d’écurie d’amener Maximus dans un pré voisin. Ce beau cheval robuste, bai brun, fut lui aussi inspecté par Monsieur de Payzac.

« Cet animal me semble en excellente forme », déclara-t-il cette fois.

« Et lui, il ne me semble pas être un mauvais homme », pensa Azur, soulagé.

Lorsqu’il l’eut vu traverser le pré en tous sens, au pas, au trot et au galop, qui devint furieux, Mnsieur de Payzac lui fit signe de s’arrêter. Le dernier exploit de Maximus avait été de franchir, d’un bond prodigieux, une haute barrière. Azur attendit le verdict.

« Jeune prince, je ne sais où vous avez appris l’équitation, mais vous montez comme un sauvageon ce cheval hors du commun. Il conviendra de reprendre point par point votre apprentissage. De la discipline, morbleu ! C’est essentiel lorsqu’on part en chasse du plus formidable ennemi au monde. »

Azur baissa la tête.

« Cependant, votre assiette et votre fougue sont remarquables, j’en conviens. Dès que possible, après l’épreuve, si vous vous en tirez indemne, vous rejoindrez les nouvelles recrues. À présent, voyons ce que vous pouvez faire avec cet arc, un peu rustique, mais dont je devine la solidité et l’efficacité. »

Plusieurs cibles furent installées au fond du pré, des flèches réglementaires fournies au jeune homme. Les tirs commencèrent à quelques pas des cibles, qu’Azur atteint en plein centre, aisément. Puis il dut reculer, de plus en plus, continuant avec succès à ficher les flèches au cœur, sauf à la toute fin. Cette fois, Monsieur de Payzac dut reconnaître sa valeur.

« Mes meilleurs archers seraient incapables de rivaliser avec vous. Quel est donc le maître qui vous enseigna ? »

Azur hésita. Il savait que l’ermite était détesté par de nombreuses personnes, hormis les plus humbles.

« Qui est-ce ? » s’impatienta l’officier.

– Un vieil ermite, qui logeait dans la forêt. Il est mort, depuis.

– Ah, cet homme-là ! Mi-ermite, mi-sorcier, si j’en crois ce qu’on m’en a dit. Vous apprit-il d’autres tours ? Vous restez muet… Je pense, pour ma part, qu’un peu de diablerie vous sera utile sous peu ! Vous pouvez disposer. Laissez-moi votre cheval, je vous prie. Il me tarde d’en tâter. »

Maximus voulut suivre son cavalier. Nul autre ne l’avait jamais monté. L’officier saisit sa bride fermement, se mit à lui parler à voix basse, et à la grande stupéfaction d’Azur, il s’en rendit maître.


30 mars 2020. A suivre…
Photo : Les machines de l’île, Nantes, par Emanuela Meli sur Unsplash

Retrouvez ici les autres épisodes :
Chapitre 3 & 4

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