La fabrique de nos frustrations

Depuis longtemps nous sommes un certain nombre à penser que la démocratie bourgeoise n’est pas la meilleure solution pour créer les conditions d’une société harmonieuse et apaisée. Ni en France ni ailleurs, d’autant que les démocraties occidentales se fondent sur la défense du capital et de la croissance continue avec deux effets collatéraux : l’augmentation des inégalités et le saccage des écosystèmes.

D’autre part sur l’exemple de la doctrine économique qui l’a conçu, le libéralisme en tant que système politique vise à la concentration des pouvoirs dans une forme de gouvernance mondiale pour laquelle nous ne représentons plus qu’une infime partie d’un tout comme une fourmi dans une fourmilière. Nos particularités s’effacent au profit du plus petit dénominateur commun. La politique libérale construit la fabrique de nos frustrations.

Loin de favoriser des efforts vers plus de démocratie et de prise en compte des inégalités, la crise du Coronavirus, avec ses mesures de confinement, exacerbe les fractures sociales entre une population instruite au numérique et celle qui n’est pas connectée, entre les générations, l’isolement des uns, le confort des autres, entre les classes installées (cadres) et celles précarisées. Le concept de généralité qui est porté par les gouvernants et répercuté par les médias, invisibilise les situations dramatiques aux yeux de ceux qui vivent à l’aise dans un environnement consumériste.

Le lendemain de la crise sanitaire se dessine non pas dans une reconstruction positive comme ce fut le cas après la seconde guerre mondiale mais dans une stratégie d’effacement de toute contestation aux exécutifs en place. On en voit les prémices en Chine où loin de le déstabiliser, le début de la fin de crise a renforcé le pouvoir autoritaire. Les gouvernements vont jouer à fond cette carte en habituant les populations à la soumission à leurs ordres.

De fait, l’état de guerre annoncé n’est pas une simple métaphore et une partie de la législation renforcée par décrets (contrôles accrus pouvant aller jusqu’à l’état de siège ou au couvre-feu) sera soumise à la tentation de nos gouvernants de la pérenniser avec le consentement subtilement acquis d’une partie de la population reconnaissante des efforts consentis par les hommes en charge.

Le temps de crise permet également de développer des systèmes de surveillance (l’emploi de drones), des procédures de travail (télé-enseignement) qui visent à isoler les citoyens, à les empêcher de se rassembler sans contrainte, à réduire le champ de nos libertés, toutes tentatives qui seraient massivement rejetées par l’opinion publique en temps normal. Il est assez significatif que l’on privilégie de nous parler surtout des effets positifs du confinement plutôt que de la recherche en cours sur des médicaments susceptibles de soigner la maladie (la chloroquine entre autres). Au nom de l’intérêt général défini comme de juste par les seuls hommes au pouvoir.

Il ne faut pas oublier que notre exécutif (et c’est le cas dans d’autres pays) était en passe de changer les règles de la société par des réformes contestées. La crise leur permet de relégitimer leur action et leur donne les armes, puisque nous sommes en guerre, de la conforter. A nous, une fois la pandémie éloignée, d’être très vigilants.

Jean-pierre Bertalmio

Photo : X D R