N’importe quoi (épisode 2)

6 – Légende
J’annonce mon départ dés le lendemain. Annoncer son départ un lundi matin, ça assure, je trouve. Mes collègues de travail sont terrorisés pour moi, et ils font la tête aussi parce que ça va faire un changement dans leur quotidien de travailler avec quelqu’un d’autre, quelle angoisse pour eux. Quant aux ouailles soit disant en insertion, ils sont trop contents pour moi. Illico, un couscous du feu d’Allah est décidé pour la fin de semaine.

Puis les mensonges commencent. Évidemment, je ne peux pas raconter qu’un jour un distributeur m’a filé 5410 euros par erreur, je ne suis pas fou. Donc, pour ma famille, j’ai fait des économies. Pour mes amis, j’ai eu une illumination qui me fait partir sans argent et sans but, comme ça, à l’aventure, pour un temps indéfini. Le tueur, quoi. Cette histoire fait son effet. On m’admire, on veut me voir, me tripoter, me… enfin bref.

Concrètement, je vais dans une agence de voyage et j’achète un billet tour du monde avec une dizaine de « stop over ». Un joli circuit qui me ramène à Marseille un an plus tard. Curieusement, ça ne me gêne pas du tout de baratiner tout le monde, au contraire. De toute façon, la vérité, c’est ennuyeux !

Et puis vient une période d’angoisse. Je dors de travers, je défèque à des horaires irréguliers, je ne vomis plus quand j’ai trop picolé, bref, c’est un sale moment pour moi. J’ai beau vociférer partout que je n’ai peur de rien, un rien me fait peur, partout.
Et vous ais-je parlé des moustiques ! Ils doivent déjà s’être passé le mot dans toutes les trompes. Ils m’attendent. Ils vont me sucer de la seule façon que j’aime pas, et faire la queue pour ça. Ils vont me filer la fièvre rouge, bleue, voire la jaune ; et puis le paludisme (c’est dengue), et puis la japonaise (celle en C phalite, je vous dis pas le cas Do majeur…) et le sida (parce que moi, je les … les moustiques). C’est pas facile de marcher recouvert d’une moustiquaire, alors comment je vais faire ? Et puis il parait que dans certains pays, ils bossent même la journée !

Et puis, et puis, finalement, je me détends. Faut dire que je fume mes cigarettes « apaisantes » du matin au matin. D’habitude, c’est du soir au matin, mais là j’ai décidé de faire les 4X7. Ah, je suis détendu maintenant, dis donc, même que j’ai oublié la date de mon départ !

Aujourd’hui, j’ai appris que c’était hier… Bon, à l’agence de voyage, ils sont gentils, ils m’ont redonné une datte. J’aime bien les dattes…

7 – Première victoire

« Un matin nous partons, le cerveau plein de flamme,
Le cœur gros de rancune et de désirs amers,
Et nous allons, suivant le rythme de la lame,
Berçant notre infini sur le fini des mers : « 
(Baudelaire – Voyage)

(Attention, ce qui va suivre est véridique…)
6h du matin. Je me lève tel un acteur de Mission Impossible, et j’enchaîne les gestes techniques qui font déjà de moi un voyageur légendaire. Tout est d’une précision diabolique : aller pisser, se regarder dans la glace, aller mettre ses chaussettes, revenir aux toilettes tirer la chasse, s’habiller complètement, vérifier son sac pour la huitième fois, laisser tomber le petit déjeuner vu l’heure qu’il est, fermer la porte de l’appartement partagé sans bruit et descendre l’escalier à pas de loup, remonter l’escalier en trombe et ouvrir la porte à toute volée pour aller prendre le passeport oublié sur le lit puis claquer la porte de l’appartement et dévaler l’escalier en se cassant la gueule.

A trois cent mètres de la gare et malgré l’heure matinale, je dégouline de sueur. Je décide de ralentir le pas, afin de savourer mes derniers instants à Marseille, et d’avoir l’air cool. Le train est bien là, l’air très cool lui aussi, qui s’éloigne, mais sans moi dedans !

N’étant pas encore vraiment éveillé, j’oublie de paniquer et me dirige vers un taxi. Pour Nice, c’est trois cent euros ! J’en cherche un autre plus compatissant tout en réfléchissant efficacement, tel un acteur de Mission Impossible. « Il faudrait que je trouve une solution très rapidement, ce qui me permettrait d’avoir une solution très vite, ouais, c’est ça … »
Je tombe sur un chauffeur de taxi sympathique qui me dit : « bon, viens, on va réfléchir en route » En fait, c’est lui qui réfléchit à haute voix tout en conduisant : « Je peux t’amener à l’entrée d’autoroute, mais ce qu’il y a, c’est qu’après ça bifurque pour Toulon ou pour Aix, alors pour les gens ça va être compliqué de te prendre, en plus avec l’heure qu’il est… ou alors, j’essaye de le rattraper ton train, mais si je le loupe à chaque gare, en plus que je sais pas où y s’arrête moi ce train, imagine, c’est un coup à nous mener jusqu’à Nice ça ! Non, c’est pas bon. Ou alors, ou alors… Attends, j’ai une idée ! Tu sais ce qu’on va faire ? On va aller jusqu’au rond point pour l’entrée d’autoroute, et là je vais t’arrêter une voiture. Allez, on va essayer comme ça ».

Je me sens tout petit assis dans le siège en cuir à côté de mon sauveur. C’est bien de se sentir au chaud dans une bonne voiture. Mais je commence à me réveiller et je pressens que son plan est pas bon. Il s’arrête effectivement en plein milieu du rond point, descend de son taxi, et fait de grands gestes aux rares voitures qui passent…

Au bout de dix minutes, je suis complètement réveillé et je décide de prendre les choses en main. Je lui suggère de m’emmener jusqu’au premier échangeur, à trente cinq kilomètres de là, d’où je pourrais faire du stop.
Il y arrive en 15 minutes, à une allure indécente. Quand je le quitte, c’est à mon tour de le réconforter, car il est abattu et pense que je n’arriverai jamais à temps.

En deux heures et deux voitures, agrémentées de discussions passionnantes sur mes futures destinations, j’arrive finalement à l’aéroport, avec vingt minutes d’avance sur le train ! J’ai toujours le générique de Mission Impossible dans la tête, et je m’y crois trop !
Merci à toi, ami chauffeur. Tu es un marseillais comme je les souhaiterais tous : la grande gueule certes mais avec un grand cœur.