C’est une femme qui dit ça. Delia Buonuomo. Je la connais pas. Je l’ai vue que sur mon ordi. Elle tient un bar tout près de la gare de Vintimille, à la frontière entre France et Italie. Là où depuis plus d’un an, des migrants sont bloqués, quand ils ne sont pas déportés en charter vers des centres de tri humain dans le sud de l’Italie (hot spots, c’est le terme officiel).
La France leur a strictement fermé la frontière en juin 2015. Ils sont des centaines à errer dans les rues de la ville, à chercher un abri ou un passage. Delia est une de ces personnes solidaires, qui, côté italien ou français, ne se résignent pas à cette situation et font ce qu’elles peuvent pour y résister. Au risque de se mettre hors la loi. Porter aide aux migrants, ne serait-ce que leur donner à manger, est illégal. En septembre 2016, le journal italien La Repubblica a interviewé Delia, une courte vidéo d’1mn30.
La traduction du reportage et du petit encadré texte à côté de la vidéo (sur La Repubblica) se trouvent ci-dessous. Je n’en suis pas sûr, mais peut-être que l’homme qui parle juste après Delia est Abdelkarim. Il me semble reconnaître sa voix. Mais peut-être pas.
En octobre 2015, avec Malika Moine, une amie dessinatrice, nous avons passé quelques jours à Vintimille. Entre autres personnes, nous avons rencontré Abdelkarim, dont j’enregistrais les paroles pendant que Malika dessinait son portrait. Le reportage audio et le dessin sont sur le site du journal Zibeline.
Peut-être est-ce Abdelkarim, qui, un an après, continue à tourner en rond à Vintimille. Peut-être c’est pas lui. C’est un autre Abdelkarim. Un des milliers d’Abdelkarim, qui viennent se cogner au mur de l’Europe, à Vintimille, à Calais, à Ceuta. Des milliers d’Abdelkarim. Combien de Delia ?
Jan-Cyril Salemi
Septembre 2016
Illustrations :
A la cantine – L’heure du thé
Centre d’hébergement Croix Rouge Vintimille – Octobre 2015 © Malika Moine
Encadré Texte :
Vintimille, Delia, la femme du bar des migrants
Le bar « Hobbit » de Delia Buonuomo, se trouve à quelques pas de la gare de Vintimille, point de vue privilégié sur le drame que vivent les migrants qui sont bloqués à la frontière avec la France. Aujourd’hui, le local de Delia est fréquenté principalement par des migrants, auxquels elle donne la possibilité de recharger le téléphone, et quand elle se trouve devant des situations désespérées, elle offre un plat chaud.
L’activité commerciale s’en ressent, mais Delia ne parvient pas à dire non face à certaines situations. « Vous l’auriez dit, vous, qu’en 2016, on verrait des hommes adultes pleurer de faim ? » Vidéo par Pietro Barabino.
Vidéo :
DELIA
Désormais, le bar est fréquenté uniquement par les migrants. Et moi, je donne une assistance que d’autres ne donnent pas. C’est-à-dire que je les aide pour recharger leur téléphone portable. S’ils en ont besoin, j’offre un plat chaud à qui a vraiment faim.
A celui qui me parle avec l’estomac, à celui qui me parle avec le cœur, je lui offre un plat chaud. Je les aide parce que je suis gentille et que je suis humaine. Et parce que ça pourrait être mon fils, mon frère ou mon père dans cette situation. Le fait que les autorités aient interdit de leur donner de la nourriture, je trouve ça inhumain.
PREMIER HOMME, (ABDELKARIM ?), S’EXPRIME EN FRANCAIS
DELIA
Vingt personnes (des policiers) ont bloqué les entrées. Ils (les migrants) étaient très nombreux à l’intérieur et quatre ont été emmenés.
DEUXIEME HOMME
Je sais pas…. Peut-être qu’ils ont rien à faire (les policiers), mais…. Selon moi, c’est pas un travail, ça…. Ils virent les gens, mais ils reviennent. Après deux, trois jours, ou 24 heures, ils sont là.
DELIA
Je comprends tout. Je comprends qu’ils ont mis la ville en difficulté, qu’ils ont aussi sali la ville. Mais la ville, elle était déjà sale avant qu’ils arrivent…. Ils lavent les rues que dans le centre ! Et dans la périphérie, tu vois personne ! C’est pour ça qu’ici, il y a du racisme entre nous. C’est pas la couleur de la peau qui fait le racisme.