La Sicile. Petit morceau de terre. Ni l’Afrique, ni l’Europe. Entre les deux. L’Italie au-dessus, la Tunisie au-dessous. La mafia partout. De New York à Palerme. La Sicile. En partir, la quitter, la fuir, pour trouver mieux ailleurs. Un peuple migrateur. Aujourd’hui, la Sicile, île de départ, est devenue île d’accueil. Beaucoup de gens y viennent. Pas vraiment par choix. Ils y arrivent, ils y échouent. Parfois vivants, parfois morts.
Ils s’échappent de chez eux, franchissent la mer et viennent toquer au premier rivage rencontré. Les migrants, on les appelle. En France, le 11 octobre, le maire de Béziers a couvert les rues de sa ville d’affiches hostiles aux migrants. « Ils arrivent » peut-on y lire. Comprendre : « Ils nous envahissent ».
La ville de Béziers est censée accueillir quelques migrants, 40 paraît-il, déplacés de Calais. En Sicile, en moyenne, il arrive 40 migrants toutes les 10 minutes, j’exagère peut-être, mais à peine. Le maire de Palerme, lui je vais dire son nom, Leoluca Orlando, n’a pas fait imprimer des affiches avec écrit « Ils arrivent ». Le maire de Palerme, il dit :
« J’estime et j’affirme que tous les résidents de la ville de Palerme sont Palermitains. Il n’y a pas de différence entre les Palermitains qui sont nés à Palerme et ceux qui y arrivent, et c’est pour ça qu’il faudrait abolir le permis de séjour. Ce permis de séjour est la peine de mort de notre temps, c’est une nouvelle forme d’esclavage pour les gens qui arrivent.
Je suis convaincu que la mobilité internationale est un droit humain. Une personne ne peut pas mourir car un pays refuse de l’accueillir. C’est pour cette raison que nous avons adopté la Charte de Palerme et que nous avons créé le Conseil de la culture, qui est le seul dans le monde à représenter les migrants politiquement. Les membres de ce conseil sont démocratiquement élus par les migrants, ils sont 21 membres, dont 9 femmes. Je ne crois pas qu’on puisse parler de ces proportions au Parlement français, ni au Parlement italien ! »
Le maire de Palerme, il dit :
« J’ai honte d’être européen, quand on voit le sort qui est fait aux migrants. Je suis européen mais, dans les valeurs migratoires, je suis surtout palermitain. Nous sommes responsables d’un génocide en mer Méditerranée. Nos petits-fils nous diront qu’on a tué des milliers de personnes. Et nous ne pourrons pas dire que l’on ne savait pas.
C’est parce que je suis fier d’être européen que je me permets de mal parler de l’Europe quand elle fait des erreurs. Mon premier ennemi est celui qui a la même identité que moi. Mon ennemi, ce n’est pas l’imam rigoriste qui soutient les terroristes, mon ennemi, avant lui, c’est le cardinal catholique qui soutient les mafiosi.
Est-ce que cela sera un problème s’il y a plus d’Italiens d’origine africaine que de natifs italiens ? Non. Est-ce que cela sera un problème si quelqu’un peut dire un jour : « La majorité des Palermitains ne sont pas nés à Palerme » ? Non. Palerme est une ville migrante. Nous sommes une ville multiculturelle, comme Beyrouth, comme Istanbul. »
Le maire de Palerme, il dit tout ça dans une interview parue le 11 octobre sur le site du Monde.
A quelques heures d’intervalle, j’ai vu d’abord l’affiche du maire de Béziers (on l’a vue beaucoup, inutile de la montrer encore) puis lu les propos du maire de Palerme. Je cherche pas à les comparer, c’est stérile. L’un est fermé, rongé de peurs et de paranoïa, l’autre est ouvert, rempli de confiance et d’espoirs, y a rien à dire de plus. Je cherche juste à les confronter. De cette confrontation, un constat naïf : la générosité, c’est une graine dans le cœur. Si on la respecte, elle pousse et le cœur s’agrandit. Si on la méprise, elle se dessèche et le cœur crève.
Jan-Cyril Salemi
Octobre 2016
Photo : © Isabelle Serro – Facebook SOS Méditerranée