Qu’est-ce là ?
A la Salle Noire ce samedi 20 mai, la dernière journée de la trentième édition du festival des Arts du récit en Isère est placée sous le signe de la poésie. « Bouqala persane ou l’ivresse de l’amour et du vin, rite de poésie et conte pour éclairer sa vie ».
Que dit le programme ? « Les femmes algéroises se réunissent souvent pour jouer à la bouqala, un rite de divination et de poésie que Yasmina Louaïl a réinventé pour en faire un moment exceptionnel de convivialité et de découverte poétique, pour éclairer la vie.. Dans la tradition de la bouqala, Yasmina Louaïl accueille le public dans une ambiance conviviale et un décor sobre, l’esquisse d’un salon, avec un tapis, un plat et un pot en terre « .
La maitresse de cérémonie, sobriété du geste et de la parole, attention bienveillante à ce que nous soyons bien installés avant de commencer, présente le déroulement :
les personnes de l’assistance qui le souhaitent écrivent leur prénom et nom sur un papier déposé dans le bouqala, pot de terre décoré ; dans un plat des papiers avec des poèmes ou contes de quatre grands auteurs persans, Oma Kahhyam, Farid al-Din Attar, Saadi, Djalal al-Din Rumi. C’est un rituel de femmes à Alger ; elles se réunissent autour de poèmes et considèrent le texte que le hasard leur offre comme une sorte de guide indiquant une direction pour leurs actions, leurs pensées.
Yasmina tire un nom et un poème qu’elle offre à la personne tirée au sort avant de lui offrir le poème écrit et de l’inviter à tirer un nom et un poème, d’offrir le poème à cette personne qui reçoit le texte écrit…
Ainsi s’épuisent les noms des participants qui ont souhaité recevoir un poème choisi par le hasard. Le rituel se déroule avec attention à l’autre. Mon nom va-t-il être le prochain, j’aimerais que ce soit cette personne qui m’offre un texte et me passe le relais, j’aimerais moins que ce soit celle-ci, pourquoi pas celle-là…
C’est un jeune homme que je ne connais pas dont la main tire mon nom ; je reçois avec une grande attention, recueillement, concentration d’esprit et de corps un conte de Rumi.
L’aimé frappa un jour à ma porte, je regardai à travers une petite lucarne et lui ai dit -qui est-ce ?
-Moi, me répondit-il. J’ai refermé la lucarne et ne lui ai pas ouvert.
Il s’en est allé. Quelque temps plus tard, il est revenu et a frappé à ma porte.
-Qui est-ce lui ai-je demandé ?
– Toi m’a-t-il répondu
-Entre lui ai-je dit.
La maitresse de cérémonie présente, au fur et à mesure que les textes sont lus, leurs auteurs, leur œuvre, indique s’ils sont traduits et connus depuis longtemps en Occident…
Le pot aux noms est vide ; il reste des poèmes et contes dans le plat.
La maitresse de cérémonie propose d’écrire le nom de personnes à qui nous souhaitons offrir un texte. Le même rituel continue, adressé à La Femme, le fils de l’une, l’ami cher de tel autre. J’ai écrit le prénom de ma fille.
Voici le poème d’Omar Khayyam qui lui est offert en cadeau :
A la mosquée un jour je m’en vins, bon apôtre,
certes pas pour prier, pour y subtiliser
un tapis de prière…Et l’amour l’a usé,
alors je suis venu pour en chercher un autre.
Le temps a passé, une grosse averse brassée par un grand vent a frappé le toit du bâtiment.
Quand je quitte le lieu, l’esprit et le cœur emplis du miel de ces mots, de l’atmosphère paisible qui nous a enveloppés, de la rencontre d’une amie de bénévolat perdue de vue, d’autres amis ou compagnons de festival, je reprends mes courses effectuées au marché de l’Estacade et au magasin bio pour rejoindre le tram, asperges, les dernières sans doute, fraises et cerises déjà, radis blancs, salades.
Pour ce rendez-vous poétique, j’avais marché au hasard depuis le marché à travers un quartier inconnu de moi, rues paisibles bordées de maisons avec jardinets.
Je repars chargée de nourritures précieuses, produits frais du jour venant de tout prés d’ici, poèmes et contes voyageant à travers les siècles.
Je sais que les uns et les autres vont cheminer en moi, avec moi, participant au processus mystérieux qui fait que je suis cette personne unique. Nous sommes une trentaine d’uniques à avoir partagé ce présent.
MCK