En quelques mois, on a tout écrit sur l’action du gouvernement. Nul n’ignore désormais les principes du projet économique de Macron, un modèle ultra libéral basé sur la théorie du ruissellement1 défendue mollement, entre autres, par David Stockman, une notion sans fondement, ( en gros « Trop d’impôts tue l’impôt ». et enrichir les riches , c’est enrichir les pauvres par l’effet de sur-verse), une théorie sur laquelle s’étaient appuyées les administrations Thatcher et Reagan avec les conséquences que l’on connaît, démantèlement des services publics, précarisation des salariés, aggravation de l’extrême pauvreté. Personne non plus ne peut méconnaître les effets de sa doctrine politique surfant sur la vague du dégagisme, un habile recentrage au slogan « ni droite ni gauche » qui a précipité la chute des partis traditionnels et qui, dans un second temps, va peut être dissoudre au sens littéral du terme les organisations syndicales revendicatives dans une mélasse de consensus négociateur.
Un regard fixé sur le rétroviseur
Cette vision de la société n’a rien de novatrice, les pays nordiques l’ont déjà testée avec plus ou moins de réussite. On peut également rappeler en la matière les tentatives centristes de Chaban-Delmas (Nouvelle Société) et de Giscard d’Estaing. Quant à la pensée complexe de notre président philosophe et à son système de communication, ils reposent presque entièrement sur les apports théoriques de Ricœur (démocratie chrétienne) et sur l’éthique de la sollicitude, parfois appelée éthique du care, préconisée par le conservateur Gilligan et plus ou moins adaptée à la sauce humaniste par nos socialistes franchouillards. L’éthique du care développé par les féministes américaines repose sur une opposition entre le besoin de justice incarné selon elles par les hommes avec des développements parfois violents (révolutions ou émeutes) et la nécessité de soin et de bienveillance (amour maternel) plus féminine. Outre le fait que cette notion pose des limites aux revendications d’égalité entre les sexes, elle nie également la lutte des classes et c’est pour cette raison qu’elle a été adoptée par certains libéraux américains. Aucune nouveauté non plus et ces notions, loin de faire l’unanimité, suscitent autant de louanges que de critiques.
Le temps et le tempo
Alors comment expliquer qu’avec une si faible base électorale (pour rappel, seulement 24% des votants au premier tour des présidentielles et 42% du corps électoral au second), une défiance de l’opinion publique (qui se traduit par de mauvais sondages), une formation hétéroclite, à peine initiée aux arcanes de la politique, d’où les couacs de cet été et une opposition tous azimuts , du FN à Mélenchon, Macron puisse dérouler le plan de ses réformes sans presque aucune anicroche? La réponse ne se trouve pas là où on la cherche. S’il existe un élément authentiquement original dans sa démarche, il est contenu tout entier dans sa gestion du temps. Les travaux de la physique quantique nous ont révélé que le temps n’avait rien de linéaire ni d’immuable. Il peut être compressé, accéléré et même réversible. En bref, on peut le manipuler comme n’importe quel objet. Macron l’a compris et il nous impose sa cadence, son calendrier des réformes, avec la précision d’un métronome et l’habileté d’un artiste. Il joue du temps comme le musicien ou le danseur, raccourcissant les délais ou allongeant les durées pour occuper l’espace, habiter les silences et peupler le vide. Et nous devenons les spectateurs d’un opéra politique sans jamais pouvoir intervenir dans le scénario, ou alors trop tard…ou à contre temps. « Je suis le maître des horloges, il faudra vous habituer, j’ai toujours fait ainsi » avait scandé Macron lors son ascension. Et cette posture, il n’est pas près de l’abandonner d’autant qu’elle semble lui réussir. En artiste accompli, il intercale les temps forts, les crescendo et les moments de calme propices au (faux) dialogue et à l’apaisement, une partition à sa mesure écrite, il est vrai, conjointement par son cabinet secret, une quinzaine de membres, dont le secrétaire général, Alexis Kohler, le spin doctor Ismaël Emelien, le porte-parole Bruno Roger-Petit, les conseillères en communication Sibeth Ndiaye et Barbara Frugier, et les chefs de pôle (diplomatie et politique).« L’organisation de son agenda est cruciale pour Emmanuel Macron. Il sait que le pouvoir passe aussi par la bonne gestion du temps. » affirme d’ailleurs l’un de ses porte paroles. Quant au chef de l’état, il aime à répéter « Ce qui n’est pas dans l’agenda n’existe pas. »
Dérégler les horloges
Ce qui fait sa force, peut également entraîner sa faiblesse. A trop vouloir écrire les notes, on laisse peu de place au talent de l’artiste, Macron verra peu à peu la source de son inspiration se tarir et l’opposition une occasion de faire entendre sa voix . A condition toutefois de ne pas suivre le tempo du pouvoir. Pour le moment, les syndicats se contentent de pousser leur contre-ut sur la portée de la partition gouvernementale ce qui aboutit inéluctablement à de la cacophonie. Plus aucun message n’est audible et l’on attend passivement la fin de la représentation. La mélodie du bonheur macronien a toutes les chances de s’achever en un triomphe personnel sauf si l’on se décide à improviser une fantaisie free jazz, si l’on consent à sortir de la gamme et à créer de nouvelles notes, de nouveaux intervalles, une pulsation sauvage et authentique, un chant d’espoir magnifiquement interprété par les métallos à Paris le 13 octobre en mettant de la tension dans une phase de decrescendo. Si l’on introduit des accidents à l’intérieur des moderato pour casser le rythme, pour balancer un beat plus percutant et plus contestataire, les battements de tambour frénétiques détruiront définitivement l’harmonieux agencement de la symphonie libérale. A ce moment là, le gouvernement aura de plus en plus de mal à battre la mesure et Macron perdra la maîtrise du temps.
Jean-pierre bertalmio