« Ne vous en faites pas, nous non plus, on n’est pas là pour les protéger ! » Casque rose, bouclier en carton, matraque rose en frite de piscine, la CRS rose s’adresse aux flics qui sont juste à côté d’elle. Pas sûr que le message passe pleinement. Les bleus sont même peut-être un peu inquiets de cette drôle de concurrence rose. Au minimum, déroutés, déstabilisés. Lors de la manif du 2 février à Marseille, cette brigade rose n’a pas arrêté de suivre, d’encadrer, de précéder, de chambrer, les vrais CRS qui longeaient le cortège en permanence.
Les Brigades Rouges d’Italie faisaient peur, on les qualifiait de terroristes. La brigade rose de Marseille a fait rire. Il vaut mieux inventer des mots pour les décrire. On pourrait les qualifier de rassuristes. Ou de tristo-riristes. Ils ont semé du rire, de la détente et de la joie, avec beaucoup de délire, d’absurde, de dérision. Mais aussi avec gravité et tristesse, comme savent le faire les clowns. Une balle dessinée en œil est un peu le symbole de ce rire triste. « On garde un œil sur vous », lancent les faux flics aux vrais qui les entourent. L’une des policières roses tient l’œil-balle au bout des doigts : « Celui-là il est intact, il est pas crevé ». Placés entre les pelotons de troupes en bleu, les roses brigadiers chantent : « C’est celle du milieu, qui crève pas les yeux ».
Autour, les manifestants crient « Gaudin assassin ! ». La marche de ce samedi était organisée pour dénoncer la politique d’abandon criminelle de la mairie de Marseille, qui a conduit au drame de la rue d’Aubagne, causant huit morts dans l’effondrement d’immeubles. Et une neuvième victime, une dame de 80 ans, tuée par la violence de la police, qui l’a atteinte d’une grenade lacrymo en plein visage tandis qu’elle fermait ses volets, lors d’une marche en décembre, organisée pour les mêmes raisons. Neuf morts. Tous tombés chez eux, dans leurs maisons, à l’abri, dans de ce qui, pour tous, devrait être un refuge. Qui pour eux est devenu un piège mortel.
La brigade rose joue, délire, s’amuse. Se transforme en chiens féroces. S’entortille dans la rubalise. Organise un jeu pour désigner le prochain gardé à vue, ou se déploie en formation tortue. Le rire soigne, la dérision apaise. Dans les situations les plus désespérées, l’humour ramène à la vie, il redonne espoir. Aussi noir et cynique soit-il.
En plus, ce samedi-là à Marseille, la brigade rose a aussi tenu un rôle de tampon entre les manifestants et la vraie police, à la matraque, aux flash-balls et aux grenades faciles. Cela n’a pas empêché, hélas, que plus tard, de nombreuses violences policières aient lieu en fin de manif. Mais au moins, pendant un temps, vraiment, la brigade rose nous a protégés et nous a fait du bien.
Jan-Cyril Salemi
Février 2019
Dessin : Malika Moine
Photos : J.C.S. et Gaëlle Cloarec
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