« Le contraste entre le calme avec lequel
nous continuons à vivre tranquillement
et ce qui nous arrive est vertigineux. »
Bruno Latour.
Je ne vais parler que des gens que je côtoie. Ceux-là, je peux les critiquer efficacement, vu que je les connais bien, vu que je leur ressemble. Par contre, en général, ils aiment pas trop mes critiques, et ça se comprend. On préfère toujours quand quelqu’un critique une autre classe sociale que la sienne.
D’ailleurs, la majorité d’entre nous se refusent plus ou moins à être mis dans une classe sociale, parce qu’on aime bien s’imaginer qu’on est à part, inclassable, self-made, ou électron libre.
Mais foutaises, nous sommes toustes les mêmes, il suffit de regarder les élections, nos fringues ou nos loisirs.
Mais de quelle classe sociale est-ce que je parle, bon sang !
Je parle des mous. Les mous vivent bien dans notre société. En général ils ont pu choisir leur métier. Ils partent en vacances à l’étranger régulièrement, ils parlent beaucoup d’écologie, ils trient leurs déchets et font d’autres petites choses insignifiantes mais par contre ils ne sont pas encore prêts à faire le moindre sacrifice sur leur mode de vie alors qu’ils sont les mieux placés pour en savoir l’urgence. Et puis ils parlent avec naturel de leur « faible » empreinte carbone malgré qu’ils ne l’aient jamais sérieusement calculée.
Sur le plan politique, c’est absolument n’importe quoi et sans aucune concertation vu qu’ils sont individualistes au possible tout en croyant avoir inventé l’eau chaude parce qu’ils participent à un collectif de partage de plantes vertes. Dans le meilleur des cas, ils votent France Insoumise, parce qu’ils savent inconsciemment que ça ne remettra pas grand-chose en question.
Oui, le Mou ressemble un peu au Bobo, dont l’archétype est : « urbain, écologiste, idéaliste, arrogant, etc. », mais comme je préfère parler de Mou, m’emmerdez pas.
Donc, voilà t-il pas que la catastrophe climatique se précise bien bien bien, et que font les mous ?
Ben rien, soyons sérieux un instant.
Rien.
Ne me reparlez pas de tri, de grâce. Nous jetons aujourd’hui du déchet dès que nous achetons un café ou un pain au chocolat, nos efforts de tri sont insignifiants et notre seule « chance » est qu’une majorité des humains n’a pas le loisir d’utiliser les ressources énergétiques comme des porcs, pardon, je voulais dire, comme nous les mous.
Sur internet, quand vous cherchez des chiffres sur la production de déchets, vous tombez sur plein de chiffres rassurants, puis en cherchant un peu plus, vous trouvez la réalité. Il faut dire que la classe dominante, pardon, les milliardaires, pardon, les grands groupes de presse, ont bien compris qu’il s’agissait avant tout de rassurer le grand public, et les mous, qui après tout n’ont pas envie de changer quoi que ce soit, mais qui iraient peut-être finir par y songer si les nouvelles étaient trop mauvaises.
Or, les nouvelles sont mauvaises (on peut pas tout camoufler non plus vu le point où on en est), mais on nage dans le sirupeux de Casino qu’est vert comme un écolo, de Total qui aime les petits oiseaux, des chasseurs qui sont les premiers écologistes de France, en passant par le PDG d’une compagnie pétrolière qui présidera la COP 28, et pour nous les mous c’est plutôt les divers petits commerces/bars/restos branchés qui surfent sur la vague avec leur produits (hyper trop chers) et leur fonctionnement hyper trop écologiques en apparence, et tout ça.
(Excusez moi un instant, je vomis et je reviens)
Du côté de nous les mous, donc, disais-je plus haut, rien.
Technologie, gagner plus, acheter, gaspiller, paraître, voyager un peu moins mais c’est juste un effet du vieillissement, entretenir une relation privilégiée avec son monde virtuel portatif, pardon, son portable, parler des aménagements qu’on prévoit dans sa maison ou de son futur investissement en le comparant avec l’investissement des autres, ou bien parler de sa réussite sociale en la comparant à celle des autres, élever nos enfants comme de parfaits petits parasites individualistes tout en se plaignant de leur individualisme, …
Comme disait un célèbre tueur de femme il y a pas si longtemps : « Soyons désinvoltes, n’ayons l’air de rien. » Mais l’écologie reste un bon sujet de conversation dans les soirées, en mode désabucyniquoblasé.
Nous sommes tous des petits Géants Casino, en fait. Cette révélation m’est venue hier soir, après deux pétards. Nous nous verdissons mais surtout au niveau de la com, nous achetons et vendons avec marge si possible, nous sommes prêts à monter au créneau mais seulement si nos intérêts personnels sont menacés, et nous sommes bien propres sur nous.
Par contre, les toilettes sont toujours dégueulasses dans les soirées au bar, vu que personne ne nous y regarde. C’est une image de notre manière de fonctionner, mais vous avez le droit de penser que je pars un peu dans tous les sens, vu que c’est effectivement le cas.
Si vous êtes pas content, vous n’avez qu’à retourner lire des articles de Le Monde, qui est trop en mode « remise en question sans prise de risque avec brossage dans le sens du poil intégré. »
Logiquement, nous les mous devrions réduire notre train de vie d’une façon radicale – d’autant plus que nous faisons partie d’une classe sociale plutôt confortable – en travaillant moins et en consommant beaucoup moins, entre autres.
Ce faisant, nous pourrions accélérer la fin d’un système que nous critiquons si pertinemment par ailleurs.
Mais nous sommes tous des petits États industrialisés (cette révélation m’est venue ce matin, après un pétard…) dont aucun n’est prêt à faire plus d’effort que son voisin, et c’est pour cette raison, messieurs dames, que rien ne changera rapidement dans les temps à venir, alors qu’il faudrait sans doute que les choses changement TRÈS rapidement dans les temps à venir, et donc, la seule incertitude est :
de quelle manière tout cela va-t-il très mal se passer ?
Car nous resterons mous (ceci est une prophétie).
A moins que nos enfants, peut-être…
Mais je crains que de côté-là ce soit mort aussi (cf plus haut).
En ce qui me concerne, étant devenu un vieux con aigri et misanthrope, je me suis dit qu’il fallait absolument que je nous en fasse profiter, bande de mous !
En conclusion (c’est important les conclusions), je tiens à préciser qu’il n’y a aucun rapport entre ce concept de « mou » et mes capacités érectiles éventuellement déclinantes. Que ce soit bien clair.
En post-conclusion, je vous invite à découvrir les albums de Delphine Durand sur les Mous. Ces mous-là ont peu à voir avec mon propos, mais je vais me répéter pour ceux qui suivent pas : j’aime bien partir dans tous les sens.
Texte : Eric Marquez, juin 2023
Photo : Élodie Garcin