Déjà plus de vingt-quatre heures que l’avion de la compagnie Aegean dans lequel nous avons voyagé d’Athènes à Genève s’est posé. De temps présent du voyage, nous sommes passés à se souvenir du voyage, transformation inéluctable souvent radicale qu’accomplit le retour.
Ayant retrouvé mon confort familier et nos chats- qui depuis ne nous quittent plus- la mise en travail du souvenir a commencé, malaxage, mise en couleur, découpage, dépouillage, effondrement de pans entiers engloutis par l’oubli…en fait il avait commencé dés le présent de chaque moment en train de passer…
« Dans la maison, les choses du dehors et du temps passé peuvent faire retour, souvent métamorphosées par le séjour plus ou moins long qu’elles ont fait dans notre mémoire. Elles ressurgissent pour vivre une seconde vie ». J.-J Salgon Place de l’oie.
La trame du voyage, passé, est marquée de ponctuations, d’ancrages, d’ étapes, entrelardées d’éclipses anarchiques que le souvenir n’a cure de répartir également dans la durée.
L’autoroute le lendemain de notre arrivée vers Diakofto, le premier repas grec au restaurant que M. préfère dans ce bourg qui est sa ville, là elle vient acheter le journal chez le libraire qui la salue joyeusement, avant de remonter dans le village qu’elle a choisi, je jette un œil aux livres en rayon, toujours admirative de la vitalité éditoriale de ce pays, du choix offert dans cette petite librairie, bien supérieur à celui offert dans une bourgade française comparable.
Joie d’être là, d’entendre, de voir, de goûter grec, de retrouver les kortas ces herbes de la montagne servies tièdes, si délicieuses généreusement arrosées de citron et d’huile.
L’arrivée à Mamousia dans la maison fermée depuis six mois, l’atmosphère d’humidité de froid de lumière retrouvée me saisit, me ravit, vite ouvrons portes et fenêtres allons sur le balcon couvert regarder le golfe de Corinthe d’en-haut, entre cyprès et maisons du village dans le bruit des moutons dans le pré juste en bas qui n’oublient pas de manger les rosiers à travers la clôture.
Bouffées d’enfance de la maison chérie où j’ai passé mes vacances et aussi des dimanches et lundis avec mes parents avant que l’école soit trop sérieuse pour que je rate le lundi, immédiatement j’ai au cœur mon père bêchant ou désherbant les fraises, ma mère ayant passé sa blouse qui apporte les plats de charcuterie familiale, rillons rôti froid rillettes pâtés, les rires les voix, le bruit des verres avec lesquels on trinque car on a convié des amis, les lointains cousins Bébert et Thérèse qui habitent ce village de Thoré-la-Rochette ; aussi le calme des séjours au long cours avec ma grand-mère sieste et couture quotidiennes obligatoires ; quelque chose de précieux à mon cœur qui me réchauffe malgré les températures peu sensibles à l’action du feu dans la cheminée.
Aidant mon amie de cinquante ans à ouvrir et mettre en service sa maison pour ce mois qu’elle va y passer avant d’y revenir tout l’été, je revois cette photo où je dois avoir quatre ou cinq ans, je louche et n’ai pas encore de lunettes, j’ai le ventre en avant des enfants qui croient occuper ainsi la bonne place, mon chapeau de paille à larges bords ne m’empêche pas de cligner des yeux, papa n’est pas loin, de dos. Maison chérie, maison d’amie, elle a aussi a connu la mienne.
Le départ par la montagne, magnifique avec ces nombreux arbres en fleur blancs très peu feuillus encore, des poiriers sauvages suggère la mamoussienne de Lyon que nous avons quittée, le vert est au sol le bleu dans le ciel.
La petite route si abimée, route principale pittoresque indique la carte qui traverse en version étroite des villages dont on se demande combien de maisons sont occupées. Curieusement la route devient très bonne (sur la carte elle est secondaire) avant Klitoria.
En plus de l’animation habituelle du dimanche matin après l’office c’est jour de marché ; autour de la place les grandes terrasses des tavernes, café grec mais aussi quelques bières ou ouzos, au milieu les enfants jouent escaladent courent en liberté, sentiment de l’absence de danger, tout le monde connait tout le monde, il fait bon s’attarder à siroter un elleniko metrio pour moi ( café grec moyennement sucré).
La montagne, les villages aux rues étroites aux grosse bâtisses prêtes à affronter l’hiver, la vue toujours splendide sur les vallées, les sommets…des touristes certes, pas en quantité suffisante pour être pénible.
Mon cœur est plein d’allégresse, je repasse par Stemnitsa avec ses fabricants de bijoux en argent, Andritsena où le restaurant dans la ruelle était un lieu merveilleux : la vieille dame soulevait les couvercles des gamelles en train de mijoter pour que les clients choississent leur menu, elle n’est plus là , le restaurant fonctionne toujours, en saison, pas encore ( des plantes en pot sont encore posées sur les tables dehors), il a été rénové ; j’y avais mangé lors de mes deux passages.
Lieu cher, le temple de Vassae, seul à plus de mille cent mètres, sous sa tente – ce n’est pas Christo qui l’a emballé mais les archéologues pour le protéger de la pluie, de la neige, du gel, en réfection toujours, éternellement sans doute.
Colonnes doriques élancées sobriété majesté du marbre, le vent autour qui, sans fatigue, rôde, se faufile, gonfle le velum, sentiment de plénitude, pause pour l’esprit.
Je suis persuadée de l’avoir vu la première fois nu, colonnes dressées sur fond de ciel, avec un grand vent déjà, rêve ? Souvenir fantasmé ? Je continue à croire que, même si l’on s’accorde pour dater de 1990 la couverture de l’ensemble par un vélum, quand j’ai effectué ma première visite, il était à l’air libre, en 1998….
La mer, nous l’avions quittée de vue en partant de Mamousia, à l’ouest nous lui revînmes, ne la quittant ensuite que pour traverser le Péloponnése du sud au nord vers la fin du séjour (ce ne fut qu’affaire de trois heures d’autoroute).
Le Magne, objectif principal de ce voyage, s’annonce à nous dans l’ âpreté de plus en plus affirmée des paysages.
Après la langueur de Pylos au bout de la baie de Navarin, magnifique forme presque fermée qui fut piège pour les turcs face à une alliance franco-britanno-russe, la douceur alanguie de Methoni derrière sa citadelle vénitienne dont la vocation militaire se fait oublier avec le ressac indolent de la mer contre la chaussée et la tour avant-poste. Nous sommes à l’une des extrémités de cette pointe sud du Péloponnèse, dans le matin caressant envie de regarder la mer pendant des heures depuis les remparts.
à suivre (2° épisode à lire sur cette page)