2° partie (1er épisode à lire sur cette page)
Koroni, port, terrasses à quelques centimètres de l’eau, attention en reculant la chaise, petits poissons qui tournent et virent, chats innombrables jamais envahissants, s’installant discrets et présents dans l’attente de quelque pitance. Ils sont aimés en Grèce, nombre de gens achètent des croquettes pour les chats de la rue.
Une femme m’ouvre la porte de son magasin pour que je regarde puis en hâte répond à la demande d’un habitué, il attend devant la porte, a commencé à miauler dés son arrivée, une fois le matou le nez dans sa gamelle de croquettes, elle peut s’occuper de moi.
Ne parlons pas de Kalamata, orthogonisée au possible après un tremblement de terre.
Le Magne on y entre peu à peu, il y en a plusieurs de plus en plus dépouillés, végétation de plus en plus basse, habitations de plus en plus fermées sur elles-mêmes, de plus en plus citadelles resserrées sur leur tour presque sans fenêtres, les clans il n’y a pas si longtemps d’un village à l’autre y appliquaient la loi du sang entre villages voisins.
La végétation se fait rase, après la baie de Gérolimenas adossée à sa falaise, ouverte sur le large où je devine des porte-containers, des paquebots, des migrants en perdition peut-être, lieu qui donne envie de se lover, presque de plonger de la fenêtre de l’hôtel, d’oublier ce qui n’est pas moi et nous pour jouir du hic et nunc, soleil, poisson, écrire sans doute en levant le nez aussi souvent que besoin vers le double bleu, mer et ciel, de fixer la nuit le rayon du petit phare au pied de la falaise.
Magne messénien ou extérieur, Magne intérieur occidental, vers l’âpreté, vers les baies cachées paradisiaques, eau parfaitement claire, plages, taverne pieds dans l’eau, la palme à Porto Kagio sur le versant abrité de la colline dont l’autre descend vers one end of Europe, ainsi la guide descendue du bus avec une troupe d’américains, bien plus âgés que nous, venus de Floride visiter l’Europe en croisière, présente-t-elle le cap Tenaro qui eut un sanctuaire à Poseidon puis une église faite des mêmes blocs.
Porto Kagio, poignée de maisons, anse parfaite animée par un simple zéphyr, un bateau se balance, j’avance sur la terrasse couverte de la taverne un homme seul mange, The collected short stories of Roald Dahl posé à l’envers à côté de son assiette, ah Roald Dahl ! Yes me répond-il, j’ai quatre cent livres avec moi sur le bateau, je regarde vers ce qu’il désigne du menton, vous voyagez en bateau ? Je ne comprends pas tous ses propos, compte tenu de mon anglais succinct, la pensée me traverse de m’enfuir avec lui, lire, partager quelques jours sur l’eau avec lui, je paie et ressors.
Paysage cévenol plus mer, mêmes genêts en fleurs, mêmes terrasses, mêmes enclos de pierre sèche aux flancs des pentes, même floraison de couleurs -pas de senteurs manque de chaleur ? Effet du vent ? – même porté pour le regard cherchant l’acuité pour détailler une construction, est-ce ruine ou non. Même exaltation, même impression qu’il est possible d’y être ici et maintenant sans autre projet.
Magne intérieur de l’est, villages perchés plus éloignés du rivage de ce côté, tours au-dessus de nous, taverne ouverte toute l’année dit l’inscription sur le mur de celle-ci (en anglais), essence dans 30 km dit le panneau…quelques autres touristes en voiture de location aussi, nous sommes seuls dans cette partie du voyage depuis Mamousia, couple un peu chahuté, quotidien parfois heurté.
Aux bungalows de la baie de Kotroni, la patronne a le même âge que moi, elle ne peut envisager d’arrêter même si son fils unique a déjà pris une partie des rênes. Le patron de la Sons Anast. Theodorakakis S.A semble plus âgé que nous. Je me sens relativement chanceuse, retraitée depuis
plusieurs années, en bonne santé (beaucoup de gens ici ont les dents en mauvais état ; ne parlons pas de leur embonpoint mais ça c’est histoire culturelle : les grecs comme les portugais mangent beaucoup de gâteaux, des gros comparés à la taille de nos portions individuelles, beaucoup plus sucrés aussi) avec des revenus raisonnables à l’échelle française, très confortables à l’échelle des revenus des grecs.
La société grecque est en souffrance pour longtemps….encore une réduction des pensions à l’horizon. A quoi sert à l’Europe de taper sur ce bouc-émissaire ?
La mer, toujours, limpide, tentante… Oh là là ce ne sera pas encore cette fois-ci que je dépasserai le niveau de la cheville, ils sont beaux mes pieds dans l’eau, ça fouette le sang…mais je n’utiliserai pas mon maillot de bain Adidas acheté trois euros d’occasion sur le marché d’Egio.
Githio ? Une « grande » ville avec des feux tricolores, un port d’où on peut partir vers Cythère –notre embarquement sera pour une autre fois – plusieurs églises, des dizaines de tavernes et bars le long des quais, des hôtels pour tous les revenus dont un datant du milieu 19° avec meubles d’époque…
Nous montons vers le monastère indiqué, sachant déjà que notre fibre patrimoniale française sera déçue, nous ne trouverons pas un monument ancien classé à l’architecture remarquable, simplement une petite église blanche avec des icônes sans ancienneté, paisible ; récompense, la vue splendide, nous dominons le port- thalassa tes couleurs ta beauté ton insondable corporéité me touchent- le phare de la petite ile devenue presqu’ile, au loin on devine la côte de l’immense baie qui semble au loin presque fermer le cercle.
Un gâteau accompagné d’un elleniko en terrasse s’imposent (Je répète : sketo, sans sucre, pour B, metrio pour moi).
Vendredi saint, simultanéité avec la France cette année, dans le soir qui descend les églises sont en pleine activité : à l’intérieur les popes chantent, des femmes âgées occupent les quelques sièges, des gens entrent avec leur cierge pour l’allumer à ceux de l’église, restent ou ressortent, toujours cette impression que popes et fidèles suivent chacun leur fil indépendamment les uns des autres ; dehors beaucoup de monde aussi, on se salue joyeusement s’embrasse, endimanchés pour la plupart, les enfants assez grands pour quitter les jupes maternelles courent jouent, tout le monde se connait au moins de vue chacun sait qui est qui, une vieille femme au menton très poilu tient ses cierges sans les allumer circule sans parler à personne…spectateurs nous commentons en aparté… un mouvement se dessine dans le jardin de cette église-là alors que dans l’autre à cinquante mètres de là aucun mouvement ne se dessine. J’allume mon cierge acheté dans l’église, nous marchons derrière les popes chantant et le baldaquin orné de fleurs fraiches supportant le livre saint, une statue (difficile de voir) ; le cortège longe le port, des centaines, des milliers de personnes bientôt, les quelques consommateurs aux terrasses regardent passer silencieux.
Pendant plusieurs heures la procession va ponctuer son tour de ville de stations où le chant sera relayé par des haut-parleurs. Impressionnante cette communion d’une ville entière bon enfant recueillie.
Avons-nous le souvenir d’ atmosphères semblables, fêtes de village de notre enfance, manifestations religieuses dans ma région de Coeur de France à la solide foi traditionnelle, souvenir d’un défilé de jeunes et d’enfants nombreux, beaucoup de tissu bleu dans la rue Denis Papin, se terminant dans les jardins de la basilique en haut de la ville avec une grande messe ,enfant j’avais senti quelque chose qui unit la foule, la portant au-delà d’elle-même. Parfum d’enfance.
Samedi saint, aucun signe d’activité dans l’église de notre halte du jour ni de préparation de quoi que ce soit, j’arrête ma lecture vers 23h, à peine endormie, les cloches les pétards le feu d’artifice me réveillent, sans doute est-il ressuscité comme chaque année !
Dimanche de Pâques, dans le jardin de l’hôtel où nous dormirons ce soir tout prés de Corinthe, trois broches tournent, agneaux ou autres (bien gros pour être des agneaux ?), dans les tavernes le long de notre balade, il y a beaucoup de monde on mange, on mange de la viande en quantité on est gai.
Depuis l’ile de Paros M. me dit on mange, on boit, on danse… c’est la plus grande fête grecque, célébrée en famille, ce pilier de la société grecque.
Le temps continue à passer, au présent d’aujourd’hui comme à celui de ce voyage, mon récit fait ce qu’il peut avec. Au fur et à mesure, mon esprit a des sursauts au milieu de mes activités, le désir de continuer à l’écrire se manifeste avec des questions (ai-je parlé de Kardamili ?) des nécessités impérieuses (Je ne peux pas oublier de parler de l’épicier de Flomochio) la certitude que livrer au lecteur impressions et souvenirs suivant un fil qui m’échappe à moi-même est adéquat cette fois.
Elle est l’épine dorsale de cette partie du voyage la chaine du Taygéte, à l’horizon puis à notre gauche, puis on entreprend de la franchir. Trop tôt dans la saison pour affronter les 2404 mètres du prophète Elias, le pèlerinage s’y fait en juillet. Sur la carte une route sinue sur un des flancs vers Kastania, dernier village de ce versant, aboutit à un monastère, redescend sur Kardamilli. Le monastère est sans surprise mais où est donc la route sur l’autre flanc. Demandons à ces vaches venues sur ce chemin de terre jusqu’au grand parking. Pas très causantes.
La carte, le paysage, les mots, à l’évidence pas d’autre choix. Des chèvres à longs poils s’enfuient pour nous laisser avancer en première, en seconde, ornières cailloux, route sèche heureusement. C’est B, qui conduit je sens qu’il se tend. Ah un croisement avec des panneaux je m’approche. Vers le bas Kardamilli, par là donc. On descend, certes on voit la mer, certes le chemin fait semblant de s’améliorer. Je réclame un arrêt-pipi pour sortir de cette atmosphère tendue, tendue. Un passage étroit avec un pan effondré, ouf cela fait un siècle que nous descendons, tournons, que le chauffeur ne veut pas que je prenne le relais, apparitions de portions de goudron orphelines, puis une bifurcation encore, je crois repérer sur la carte ne sais plus quoi conseiller.
Cette fois c’est la bonne et, à ce croisement allons à gauche, on voit des maisons, il y a forcément une taverne. Carte en main je demande aux papis qui rigolent bien (ils ne boivent pas tous du elleniko l’heure de l’ouzo est déjà là).
Totalement gourée, nous sommes à Milia au moins 4 centimètres à droite de là où je supposais que nous étions. Questions : fallait-il ignorer le panneau, regarder mieux la carte en réfléchissant plus …
La piste empruntées n’est même pas sur notre carte, une piste pour les paysans et les bergers. Avantage la petite église byzantine de Milia et ses fresques sont magnifiques. Piquée par la curiosité et le sentiment de culpabilité, direction Echokori pour voir de mes yeux l’embranchement où nous aurions du arriver, à au moins dix km de là ( !). Un grand panneau indique le monastère. Je ne connaitrai pas la majeure partie de cette route pittoresque indiquée par la carte.
Une semaine que nous avons retrouvé Grenoble. Je regarde à nouveau mes pieds, le bronzage des lanières de mes sandales est toujours marqué, nos visages aussi sont hâlés, la presque permanence du vent empêche en Grèce de sentir l’action du soleil à cette saison, dessèche la peau, oblige à fermer ses vêtements, exalte l’esprit.
Loutraki station balnéaire et thermale, dernière nuit au bord de la mer. Sanctuaire d’Héra dans une petite crique qui donne envie de se baigner, on y est à l’abri du vent, j ai renoncé en raison de la température de l’eau, décidément trop fraîche.
Athènes. J’avais un souvenir ébloui des magnifiques Korès, ces jeunes filles dont on sait peu de chose, déesses, prêtresses, statues votives…l’incertitude durera sans doute ; on peut louer leur grâce, leur sourire énigmatique, leur beauté. Le nouveau musée de l’Acropole, ouvert depuis quelques années seulement, construit au pied même de la colline, est une réussite de transparence, dés qu’on tourne les yeux on voit l’Acropole, de muséographie, le public peut y circuler et y découvrir les oeuvres, même s’il est très nombreux, les fresques et sculptures du Parthénon y sont reconstituées à taille réelle (il parait qu’une majorité de britanniques sont d’accord pour rendre à la Grèce les sculptures détenues au British Museum).
Impossible de terminer sans parler des « Ali ». Les medias ont beaucoup relayé l’actualité des migrants, leur grand nombre cherchant à aller vers l’Occident, vers ce qui représente à leurs yeux plus de sécurité, leur nombre échoué en Grèce ; Patras, port d’où partent ferrys et bateaux vers l’Europe de l’ouest est une des bornes où ils viennent buter. Rentrant vers la maison de M. par la montagne, nous voyons un pâtre avec un troupeau de vaches, impossible de penser qu’il est grec ou albanais, pakistanais peut-être ou tamoul…
Ici aussi les campagnes se dépeuplent, la main d’oeuvre pour les travaux agricoles se raréfie ; pour remédier à cette situation, des paysans entrent en contact avec des migrants bloqués pas loin de chez eux, leur proposent un travail, un gîte, les accompagnent dans leurs démarches pour avoir des papiers ; M a entendu dire que dans une ferme où ne vivent plus que les parents âgés, c’est un « Ali » ( on les appelle ainsi) qui s’occupe d’eux, fils dernier-venu intégré à la famille au quotidien, dépositaire de la confiance comme tout autre membre de la famille. Qui sait si, dans leur pays d’origine, les montagnes ne ressemblent à celles d’ici, les vaches à celles d’ici, le mode de vie à celui qui est désormais le leur, simple mais confortable, laborieux mais sans guerre. Sans doute n’était-ce pas leur but ultime en partant mais les voyages réservent toujours des surprises.
Nous n’avons pas visité :
– le palais d’Hector (en Grèce beaucoup de monuments sont ouverts de 8h à 15h ; nous nous sommes garés sur le Parking à 14h58) – Le château de Pylos (pas bifurqué à temps)
– 98-99% des musées athéniens ( il faudrait, pour le faire dans les conditions idéales pour moi, au moins 3 mois, un musée par jour, maximum 2).
– Tous ces lieux que nous avons contourné, évité, dont nous découvrirons l’existence lors d’un prochain voyage.
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Je n’ai pas parlé de
– La chapelle dans le platane de Plataniotissa. J’y fais un pèlerinage lors de chacun de mes passages, pas pour prier, ou alors peut-être que si d’une manière très personnelle, que sait-on nous-mêmes de notre activité psychique ? Sans doute cette idée d’une église dans un arbre me touche-t-elle parce qu’elle évoque d’enfantin, de magique et mystérieux. Je révise les images de ce lieu emmagasinées : ainsi avais-je oublié la marque à la forme exacte de la tête de la vierge dessinée mystérieusement à l’intérieur du tronc, cette partie du bois étant morte au milieu de la paroi bien vivante qui continue à croitre : un vrai miracle, non ? Plataniotissa est à une poignée de kms de la maison de M.
– L’épicier de Flomochio, charmant, un peu dragueur comme la plupart des grecs, me raconte qu’il est allé trois fois en France, pour un jour à chaque fois, pour voir les footballeurs grecs jouer, deux fois à Paris contre le Paris-Saint-Germain, une fois à Monaco contre l’ équipe monégasque.
– le train touristique odontotos ( à crémaillère)Diakofto-Kalavrita . Depuis 1896 il se faufile sur sa voie étroite (75cm) dans les gorges du Vouraikos jusqu’à Kalavryta dont la station de ski doit encore être ouverte à cette saison. Les 22 km se déroulent au milieu de torrents bondissants, d’arbres de Judée, de poiriers sauvages,…en fleur…réjouissant.
– Kardamilli où vécut longtemps Patrick Leigh Fermor.. Étudiant anglais fort dispersé il entreprit en 1933 de rejoindre Istanbul à pied. Son récit de voyage à travers cette Europe au bord de la disparition est une merveille de lecture. Tombé amoureux de la Grèce il y passa le reste de sa vie. (Dans la nuit et le vent. éd. Nevicata ; Mani. éd Payot).
Je reviendrai.