« Ne serait-ce que pour une vie, cela vaut le coup ! »

À travers l’entretien d’Alisha Vaya, enregistré au sein du lycée St Charles le 4 février 2025, on découvre le parcours, le rôle et les difficultés rencontrées par la coordinatrice de communication de SOS Méditerranée.

Parcours d’Alishay

Alisha Vaya est Coordinatrice de communication pour SOS Méditerranée, au département des opérations. Elle travaille à la fois dans les bureaux à Marseille, mais également à bord de l’Ocean Viking, bateau de sauvetage de l’ONG. Avant de nous intéresser à son parcours et à ses motivations, qu’est ce que SOS Méditerranée ?

C’est une association civile européenne de sauvetage, constituée de citoyens et citoyennes décidés à porter secours aux personnes qui risquent leur vie en mer pour fuir l’insécurité politique ou économique dans leur pays. Par le biais de bateaux tel que l’Aquarius ou désormais l’Ocean Viking, une équipe composée de médecins, journalistes, skippeur…, arpente le bassin méditerranéen en poursuivant trois missions principales : sauver, protéger et enfin témoigner de la situation en mer. C’est dans cette troisième mission qu’Alisha intervient.

Alisha a tout d’abord étudié le journalisme, puis a suivi un master en relations internationales, sécurité et développement. Mais elle a toujours eu un intérêt pour le milieu de l’humanitaire (notamment découvert durant de nombreux stages). Ses études et son parcours se caractérisent par une forte envie d’avoir un pied à la fois dans le journalisme et l’action humanitaire. Ainsi, outre l’utilité de son métier et de ses prises de position, la place qu’elle occupe dans SOS Méditerranée lui permet de s’épanouir personnellement. Son poste est à la jonction entre ces deux mondes : elle réalise à la fois des interviews, de la communication et la récolte de témoignages, au service d’une cause et d’une idéologie qui lui paraissent juste et nécessaire.

Combien de temps sur mer et sur terre ?

L’emploi du temps d’Alisha est divisé en trois temps :

1. Une mission à Marseille, dans les bureaux : six semaines
2. Six semaines sur le bateau
3. Six semaines de repos

Qui finance SOS Méditerranée ?

SOS Méditerranée est une ONG (Organisation Non Gouvernementale). Ce sont des structures qui défendent une cause d’intérêt public et sont indépendantes des pouvoirs politiques. Elles peuvent être financées par des fonds publics (subventions de collectivités territoriales ou d’états), et également par des dons d’acteurs privés, des citoyens, « des personnes comme vous et moi ». Il peut s’agir de personnalités publiques reversant les bénéfices engendrés lors d’un concert, la vente d’un livre…, ou de dons d’entreprises, soutiens individuels, legs etc., pour soutenir financièrement et moralement l’ONG.

Dans le cas de SOS Méditerranée, les fonds collectés sont alloués à la location du bateau, aux frais quotidiens d’entretien et de sauvetage, et à l’ensemble des équipements nécessaires pour prendre soin des rescapé·e·s.

Le métier d’Alisha

À bord du bateau, elle encadre l’équipe de communication (un photographe ou vidéaste et plusieurs journalistes), en fonction du type d’informations et de contenus que SOS Méditerranée veut diffuser. Cela peut être, par exemple, une vidéo pédagogique sur les différentes étapes d’un sauvetage en mer, qui sera ensuite envoyée à plusieurs associations pour lever des fonds, et relayée sur des réseaux sociaux, sites web…

Le but d’Alisha est de faciliter le reportage des journalistes, en s’assurant qu’ils repartent avec le nécessaire pour leurs productions. Mais elle veille aussi à ce qu’ils respectent certaines règles, et notamment travaillent sans violer l’intimité des rescapés. À bord, une communication interne est également assurée, par l’écriture de mails quotidiens et détaillés (les « Updates »), envoyés aux équipes à terre, qu’il y ait un sauvetage ou pas. Il faut également gérer les demandes d’interviews de l’extérieur.

Tous les membres de l’équipage ont suivi une formation de psychologie : en recueillant des témoignages, il s’agit de savoir réagir, d’être à l’écoute. Alishay redirige les migrants et migrantes vers les structures adaptées à ce qu’ils ont vécu. Ainsi une femme violée quelques mois auparavant va être envoyée chez une sage-femme, un gynécologue…

C’est réel soutien, une aide concrète.

Sa motivation

La jeune femme a « un problème avec la notion de frontière et le fait d’empêcher les gens de circuler librement ». Peut-être même, dit-elle, « une certaine culpabilité d’être née du bon coté de la ligne, le sentiment de devoir rééquilibrer cette injustice ».

Il s’agit d’un travail de fourmi, avec parfois la frustration d’avoir l’impression de ne rien changer. Mais ce sont des rencontres avec des gens qui sont passés extrêmement proches de la mort, et ont vécu des souffrances indescriptibles. « Tu te rends compte que ce que tu fais a de l’impact sur des vies, que ton travail est utile et qu’à ton échelle d’humain, tu peux faire bouger les choses. Ne serait-ce que pour une vie cela vaut le coup !  On utilise souvent le mot migrants comme une case, mais quand tu rencontres ces gens et que tu apprends à connaître un tant soit peu leurs histoires, leurs trajectoires, leurs projets… tu te rends compte que ce n’est pas qu’une statistique. »

Même si c’est parfois dur mentalement car beaucoup de barrières persistent, cela vaut le coup d’exercer ce métier qui a du sens pour Alisha.

Un réel processus : comment ça marche ?

« Un bateau envoie un signal de détresse et communique ses coordonnés géographiques. On essaye de le repérer « à la jumelle », puis on met un zodiac à l’eau, et l’opération de sauvetage débute. »

La radio est utilisée pour communiquer avec le bateau et les autorités : « il faut décrire tout ce que l’on voit aux autorités, et sur cette base on va recevoir ou non un feu vert pour intervenir ».

« Généralement on avertit les garde-côtes libyens, mais ils ne répondent pas, donc on appelle Malte qui ne répond souvent pas non plus, et en dernier recours l’Italie, qui donne généralement un feu vert et désigne donc un port où débarquer les personnes. »

Droit maritime

Les ports désignés sont souvent lointains, faute d’accoster sur la terre la plus proche, il faut utiliser du carburant en plus, ce qui occasionne des dépenses inutiles. Il y a obligation de ne pas dévier du cap imposé et d’aller le plus vite au port désigné. « Ceci pour empêcher le bateau de rester dans la même zone et de faire d’autres sauvetages. Si on voit un autre cas de détresse, une demande d’autorisation qui doit être faite pour d évier de la trajectoire. »

Si la déviation de cap est décidée sans demande au préalable, il peut y avoir des sanctions (détention du bateau, amendes.). Une réelle politique d’intimidation est mise en place, visant à empêcher SOS Méditerranée d’agir, ce qui n’empêche pas l’ONG de secourir quand même un bateau en difficulté. Le droit maritime international stipule que « tout capitaine a obligation, autant qu’il peut le faire sans danger sérieux pour son navire, son équipage et ses passagers, de porter secours à toute personne en danger de se perdre en mer ».

Si la ligne est parfois assez fine entre la morale et la justice, le droit international ou le droit italien, « pour les détentions du bateau, SOS Méditerranée a toujours fait appel et a gagné, ce qui montre que l’ONG est dans le droit de l’aide à personnes en danger ».

Les problématiques psychologiques

Lorsqu’on s’attache aux personnes rencontrées, quand vient le le débarquement, on éprouve un mélange d’émotions intense. « La mission est de mettre les rescapés en sécurité et de protéger leur intégrité physique, mais cela reste un moment de crainte et douloureux.

Beaucoup de questions n’auront pas forcement de réponses, par exemple sur leurs demandes d’asile, leur lien avec leurs familles. « Le but est seulement d’accompagner et de sauver des migrants en mer : SOS Méditerranée n’assure qu’une petite partie d’un long processus migratoire… »

Comment recevoir et accueillir cette peine et cette misère ?

« À bord, un accès a des psys est assuré 24 h sur 24, avec un check médical a la fin de la mission. Mais il y a aussi une entraide entre les différents collègues du bateau, des missions qui soudent, des rencontres et témoignages choquants qui rassemblent. Et une vision du monde et des valeurs en commun qui rapprochent. Donc un moyen d’extérioriser avec des gens ayant vécu la même chose. »

Hommes et femmes, quelle place occupée sur le bateau ?

Dans les parcours migratoires que rencontre Alisha, on retrouve beaucoup plus d’hommes. À cela s’ajoute un sentiment de pudeur et de honte qui entre en jeu, et qui a pour effet d’invisibiliser le vécu douloureux et brutal d’une femme dans sa migration. Il est très intéressant de relever la place qu’occupent les femmes, dont Alisha, sur le bateau de SOS Méditerranée.

En effet l’équipe est composée majoritairement de femmes, qui occupent notamment les trois postes de communication. « Les femmes sont plus enclines à leur parler, surtout dans des cultures ou les genres sont très scindés, et où il serait donc compliqué pour celle qui a subi des violences physiques et/ou sexuelles d’en parler à un homme. »

« On essaie de mettre systématiquement une femme au moins sur un zodiac, puisque lors du premier contact entre l’ONG et les rescapés, si une de nous est présente ils vont directement comprendre que notre bateau n’est pas libyen mais européen : la présence d’une femme est donc dans ce cas rassurant. » Alisha précise que ce soulagement se voit dans leurs regards. Le premier message à faire passer est un message de sécurité !

Lili André Lloret
Mars 2025



Cet article a été réalisé par une élève du lycée Saint-Charles à Marseille. Il s’inscrit dans le cadre d’un atelier journalisme animé par des membres de l’équipe de Qui Vive (Gaëlle Cloarec et Jan-Cyril Salemi) pendant l’année scolaire 2024-2025.