Depuis le début du mouvement des Gilets Jaunes, je me suis montré sceptique et il y a de quoi. Résumons : un mouvement né hors sol, sur les réseaux sociaux, sans attache avec un collectif constitué dans la vraie vie, construit seulement par l’ajout d’individus au passé flou et plus ou moins anonymes et très vite soutenu par le Rassemblement National dont on connaît l’emprise sur le Net.
De quoi éveiller ma méfiance, surtout quand il s’est présenté sans appartenance ni conscience politique avec pour seules revendications au départ, la suppression de la création annoncée de la taxe sur les carburants. Bien mince à mon goût et contraire à ma sensibilité écolo. Évidemment, au fur et à mesure qu’il a grossi, il a rempli ses cahiers de doléances qui sont devenus d’ailleurs un foutra de contradictions et finalement, à y regarder de plus près, on y perçoit ce qu’a voulu imprimer Macron, l’image en négatif de son gouvernement, un « ni droite ni gauche » contestataire avec cette même volonté ambiguë de briser les clivages.
Désolé de vous décevoir et d’ailleurs, on me l’a souvent reproché, je me revendique clivant peut être parce que le clivage consolide ma réflexion. Pour moi, il existe bien une droite et une gauche, une droite élitiste et capitaliste et une gauche humaniste et solidaire. Une droite défendant des privilégiés et une gauche défendant une égalité dans les droits sociaux. Le mélange des genres sème la confusion.
Pendant 18 mois, le gouvernement a tenté d’inculquer aux masses sa nouvelle vision du monde, parfois en utilisant la trique (retour aux fondamentaux de l’éducation, n’est-ce pas Monsieur Blanquer) parfois en usant de la douceur et de la bienveillance (la philosophie du care, un peu délaissée aujourd’hui) mais toujours en mettant en avant ce maître mot des enseignants savants, la pédagogie.
Pour y parvenir, il a bien fallu réduire au silence ces braillards de syndicats et niveler le terrain politique en repoussant les opposants aux extrêmes (et en les criminalisant au passage) ce qui nous a conduit, ces jours-ci, à visionner un scénario inédit, la convergence des luttes entres les cancres de la classe Macron, l’extrême-gauche et l’extrême-droite ensemble sur les barricades, une configuration qui trouble les politologues les plus experts qui hésitent encore à comparer l’insurrection de décembre 2018 à celle de mai 1968.
Et pour cause, en dépit de la part d’utopie, en mai, on avait construit une pensée révolutionnaire sur un corps de concepts de gauche parfaitement cohérents. En décembre, la pédagogie macroniste a réussi l’exploit de dissocier la pensée du corps. Forcément, notre philosophe président est lui même un pur esprit détaché des contingences matérielles, il parle à notre tête tout en affamant notre corps.
C’est oublier un peu vite que le déséquilibre entre le corps et l’esprit crée la maladie et en l’occurrence, pour en avoir longtemps ignoré les symptômes, une crise de grande ampleur, un accès de démence aiguë. D’un côté un cerveau malade qui ne contrôle plus son corps social et de l’autre un corps malade qui ne contrôle plus sa pensée politique.
Mais, attention, cette double démence peut déboucher sur un carnage. Des deux côtés, on appelle aux armes, les Gilets Jaunes et leurs supporters en marche sur l’Elysée, Castaner et ses troupes d’élite en menaçant d’utiliser de nouvelles stratégies qui ne feront plus l’économie du sang (sic). Un combat de schizophrènes pour un déchaînement de violence incontrôlée. Et plus un seul psychanalyste pour dénouer le fil du problème puisque tout dialogue est rompu. Il devient impératif de chercher les mots pour soigner les maux car comme chacun le sait, sans les mots, il n’y a pas d’analyse.
Jean-pierre Bertalmio
Photo : X D R