Hier on était jeudi, c’est jour de marché à La Plaine.
J’avais eu vent d’une demande d’autorisation à manifester déposée par les forains, en rage contre le projet de rénovation qui menace la place, cœur de Marseille et lieu de travail pour 300 familles.
Moi j’habite à côté, et j’y passe très souvent sur ce marché, bondé trois fois par semaine, avec des cris uniques au monde pour attirer le chaland. Depuis le temps que je me propose d’y balader un enregistreur, pour garder trace de cet humour, de cette joie de vivre tellement marseillaise, qui va bien avec le grand ciel bleu, le caou-caou impérieux des gabians et les doigts rougis par le mistral !
À chaque fois j’oublie, ou je n’ose pas parce que c’est un peu intrusif, un micro (c’est pas comme si leur spontanéité était si fragile, c’est plutôt que j’ose pas, en fait).
Mais là je me suis dit : en tant qu’usagère, vu que toute ma garde-robe je me la suis procurée sur ces étals, je vais aller les soutenir. On va manifester. Je prends mon enregistreur, au cas où, pour Qui Vive : pas moyen de le sortir du sac. J’étais trop isolée, devant cette masse de camions blancs tous klaxonnants, en partance pour assiéger la Mairie de Marseille sur le Vieux Port. D’abord, ça pue horriblement, le diesel qui surchauffe. En plus je ne sais pas, le mot n’avait pas dû être passé, mais on s’est retrouvées à trois femmes riveraines, piétonnes un peu coincées dans les rangs serrés des véhicules. J’aime pas les moteurs : je suis partie avant d’être asphyxiée.
En me sentant un peu coupable ; c’est vrai, de loin, ça me plaît assez l’idée des tracteurs qui défendent Notre-Dame des Landes, j’approuve que la grosse machinerie ne soit pas toujours du côté du pouvoir.
Il paraît que la délégation des forains a fini par être reçue à la Mairie, et que ça s’est mal passé.
Je ne sais pas ce qu’il va advenir du Marché de la Plaine. Peut-être une légende qu’on racontera à nos petits, qui souriront de nos radotages. Ou peut-être qu’il aura été tellement bien défendu que jamais on ne nous le rabotera. En tous cas, la prochaine manif, j’espère qu’on sera plus nombreux. Et qu’il n’y aura plus de bagnoles, ce serait bien qu’on respire un peu à Marseille.
Garaelle, le 2 décembre 2016