Adresse à Fréderic Bazille

bazille_frederic__la_toilette_1869-70_oil_on_canvas_musee_fabre_montpelierMr Bazille, je vous retrouve avec grand plaisir, vous le jeune homme au regard porté au loin.
Je découvre que, contre l’avis de votre entourage, vous vous engageâtes et en mourûtes. Idiot que vous êtes, vous qu’on dit plutôt pacifiste,  soucieux de partager avec vos amis repas, ateliers, promenades, logement même, quelle pulsion vous agita ?
Les commentaires de l’exposition qui vous est consacrée laissent entendre que vous traversiez peut-être une période de questionnement sur vous-même, voire de déprime, laissent entendre que vous étiez peut-être d’humeur suicidaire.
Je saisis l’occasion d’avancer par cette porte entrouverte sur votre intimité pour vous faire part de mes interrogations sur votre vie affective ; vous chérissiez père et mère à en croire les lettres que vous échangiez, leur fréquence, leur ton ; ils vous chérissaient également puisque vous réussites à les convaincre de vous autoriser à abandonner vos études de médecine pour ne faire que peindre, sans qu’ils vous coupassent pour autant la pension mensuelle qu’ils vous servaient ;  ils y faisaient même des rallonges quand vous les sollicitiez en fils aimant et respectueux.
De votre frère Marc, on sait peu de chose, vous le faites figurer, dans  La réunion de famille, debout au bord de la terrasse derrière sa femme assise: elle n’a pas l’air commode, sa femme ; lui semble mélancolique ; tous les personnages de ce tableau ont des visages tristes, comme des masques ; Marc, mais il est loin, difficile d’en décider, est celui qui semble le plus vivant, sensible au moment, j’ai envie de dire qu’il vous regarde d’un air vaguement amusé. Il était plus jeune que vous, marié donc, pas vous !
Quand je vois vos tableaux représentant des hommes, jeunes, musclés, portant des maillots  de bain qui ne cachent pas leur virilité,  dans des postures lascives, j’irai jusqu’à dire que le jeune homme de gauche adossé à un arbre de votre Scène d’été nous aguiche, donc vous, avant nous. J’imagine un désir masculin pas avouable sur la place publique dans cette ville de province de Montpellier sous le second Empire, nulle part ailleurs en France non plus, toléré peut-être dans des lieux pour ça à Paris.
Vous peignez beaucoup vos amis peintres, de façon, à mes yeux,  avantageuse pour leur sensualité.
Ce qui ne vous empêche pas de peindre admirablement les femmes, vêtues ou prêtes à l’être.
La robe rose montre, de dos, une jeune fille rêvant à l’ombre d’un grand pin parasol sur la terrasse de la propriété familiale à côté de Montpellier. Elle est seule, elle laisse son corps s’alanguir un peu, elle a plaisir à ce moment de pause à l’écart de la bienséance exigée lors des moments partagés, rien de la raideur qui semble figer chacun, sauf Marc, dans La réunion de famille.
Je vous dois un aveu : le tableau de vous que je préfère, depuis la première fois que je l’ai vu, il y a une bonne vingtaine d’années, préférence confirmée ce huit octobre lors de ma visite de l’exposition qui vous honore au Musée Fabre, c’est La toilette.
Pour le dire tout net, c’est l’un de mes tableaux préférés.
J’aime cette scène intime – pas de fenêtre, on est dans un lieu clos invisible de l’extérieur-, cette femme au corps alangui par le bain chaud rêve de ce qu’elle va vivre ou qu’elle aimerait qu’il advienne, la sensualité est aussi bien dans son corps que dans les tapis et rideaux, dans la fourrure sur laquelle elle est assise.

MCK