Nous, élèves de Seconde au lycée Saint-Charles de Marseille, sommes allées voir le spectacle Et demain le ciel, de la compagnie Les Oyates, au Théâtre Massalia, le 15 décembre 2023. Une pièce percutante, remplie d’urgence et d’espoir.
Sur scène, seuls des jeunes sont présents et prennent la parole pour nous faire prendre conscience des enjeux écologiques et de l’avenir vers lequel nous nous dirigeons. Comment se projeter, dans ce contexte ? Ils ne nous le transmettent pas seulement par la parole, mais également par la danse et le chant. Nous avons réalisé une interview auprès de la metteuse en scène, Marie Levavasseur, qui a évoqué le processus de création, le but de ce spectacle, etc…
Quand et comment avez-vous découvert le théâtre ?
Marie Levavasseur : J’ai commencé le théâtre quand j’avais huit ou neuf ans. J’étais une personne assez timide. Mais je pense justement que le théâtre est approprié pour les personnes timides, parce que le plateau représente l’espace où l’on peut s’exprimer, où l’on a la liberté et l’autorisation de parler… Pour moi, ce fut cet espace de libération, qui m’a fait grandir et qui continue à me faire grandir… J’ai joué pendant dix ans, mais après j’ai vraiment eu envie d’écrire et de mettre en scène.
Pourquoi avez-vous choisi ce sujet ?
Je trouve que la question de la croyance, on doit se la poser, et je me la pose, même en tant qu’adulte : comment croire et trouver la force de construire sa vie ? Quel sens y met-on ? Je suis quelqu’un d’assez optimiste et j’ai envie de transmettre cela, même si c’est de plus en plus compliqué dans le monde dans lequel on vit. Néanmoins, où peut-on puiser la force ? Nous avons trouvé la réponse à cette question dans le collectif. Comme l’a dit Maël [ l’un des jeunes comédiens du spectacle, NDLR ], c’est dans la force de faire ensemble qu’on trouve l’énergie de croire en demain. C’est aussi un moyen pour moi de rester connectée avec la jeunesse.
Comment est-ce, de travailler avec des adolescents ?
C’est étonnant, car ils sont très engagés. Ils sont surprenants, parce qu’avec eux, au contraire des comédiens professionnels qui ont plus de barrières, on ressent une urgence de parler, d’agir. C’était aussi l’idée du projet de donner la parole à la jeunesse, que l’on n’entend pas souvent : peu dans les médias, peu dans la presse… Et je trouve très bien que des jeunes prennent la parole et que cette parole soit considérée comme légitime. C’est important aujourd’hui d’écouter la jeunesse.
Travailler avec des adolescents, c’est aussi un ascenseur émotionnel : les crises d’angoisse, les craquages, les problèmes de cœur… Un tel projet nous « met en danger », expose, donc c’est un peu le tourbillon.
Est-ce que vous vous seriez adressée différemment à un public adulte ?
Finalement, ce spectacle s’adresse plus aux adultes qu’aux jeunes, ce qui n’était pas forcément l’idée de départ. C’est vraiment la jeunesse qui s’adresse aux adultes. Par exemple, au début de notre travail préalable, les ados et moi avons réalisé un micro-trottoir dans les rues d’Avignon. Ils sont rentrés dépités par certains propos des adultes : “On n’aimerait pas être à votre place, maintenant c’est trop tard.” Cela les a révoltés. Ce spectacle est une réponse à ce micro-trottoir, à ces adultes pessimistes. Ce n’est pas la majorité des adultes, heureusement, certains sont très positifs et porteurs d’espoir.
Comment vous-même voyiez-vous le monde en tant qu’adolescente ?
Quand j’étais plus jeune, cette question de l’écologie était beaucoup moins présente. Je n’avais pas cette conscience que vous avez aujourd’hui, cette lucidité. J’étais plus insouciante, plus protégée que vous à votre âge. Nous, on consommait, on ne prenait pas conscience que la terre n’était pas une ressource inépuisable. Je n’ai pas grandi comme vous, c’est aussi pour cela que j’ai envie de m’adresser à cette nouvelle adolescence et de participer à la création d’un échange intergénérationnel. Vous êtes cette nouvelle génération qui explose les codes, parfois c’est déstabilisant, mais c’est aussi par votre regard que l’on peut changer le nôtre.
Quelles idées principales voulez-vous transmettre ?
Dans mes spectacles, il y a souvent cette idée de la construction de l’identité, de soi. C’est un fil rouge, à travers toutes mes créations. Il y a également cette question de l’intergénérationnel, avec une courroie de transmission, de filiation. Il ne s’agit pas d’opposer les générations mais de continuer à nourrir ce lien entre elles, pour la passation d’un monde ancien à un nouveau. C’est important de connaître son histoire, ses racines. C’est à partir de ce qu’on est qu’on peut devenir qui on va être.
Quelles ont été les différentes étapes de création ?
La première année, j’ai travaillé avec un groupe de 25 adolescents. On a beaucoup discuté ensemble, sur des thématiques très différentes, que ce soit sur la religion, l’avenir, l’engagement, comment ils se projetaient en tant que jeunes… Pour les aider dans ces réflexions, ils ont rencontré beaucoup d’adultes. On est allés dans beaucoup de cafés-philo, et les jeunes ont notamment réalisé ce micro-trottoir qui a été inclus dans le spectacle. Il y a eu beaucoup d’improvisations, pour mieux les connaître, et c’est à ce moment-là que j’ai commencé à écrire avec une autre autrice, Mariette Navarro. Ensuite, il y a eu la phase de construction avec l’aide d’une scénographe, d’un compositeur de musique, d’une chorégraphe. Une fois le texte écrit, on a réalisé ce spectacle en trois week-ends.
Interview réalisée par Paloma Descamps-Sicre et Noélie Ricca, le 15 décembre 2023.
Bonus :
Après la représentation, tous les adultes sont sortis de la salle, car un « bord de scène » était réservé aux jeunes spectateurs et comédiens, pour un temps d’échange.
Nous leurs avons posé cette question :
Comment tout cela a commencé et qu’est-ce que cela vous a apporté ?
Tout a commencé avec un stage en 2021. Nous ne savions pas que nous allions monter un spectacle. Nous avions juste commencé à faire des micro-trottoirs pour savoir comment les gens avaient confiance en l’avenir… Nous avons aussi rencontré plusieurs philosophes qui nous en ont appris plus sur ce sujet. Quand on a dû commencer à écrire, on a créé des personnages inspirés de la vraie vie, avec des discours qui venaient de nous-mêmes, nos idées… En fait, on avait tout le temps le choix de ce qu’on allait et voulait faire.
Ce projet nous a apporté beaucoup de maturité car on a dû se poser énormément de questions. Mais le texte est en constante réécriture, car en se posant des questions, on a de nouvelles idées !
Cette interview a été réalisée par deux élèves du lycée Saint-Charles à Marseille, en classe de Seconde. Elle s’inscrit dans le cadre d’un atelier journalisme animé par des membres de l’équipe de Qui Vive (Gaëlle Cloarec et Jan-Cyril Salemi) pendant l’année scolaire 2023-2024.