COP culture

Vous imaginez si des ados gouvernaient le monde ? Allez, je vous propose un voyage dans le temps, via planète Marseille, on débarque au lycée Saint-Charles, le vendredi 12 mai d’une année imaginaire. Mettons 2023. Ce jour-là, au lycée c’est l’Eco-Day. Qu’es aco l’Eco-Day ? C’est un code ? Pas vraiment, mais c’est vrai qu’il faut décoder. It’s in english. Déjà eco, qu’es aco ?

Bon, au départ, c’est du grec, ça veut dire la maison. Ah oui ? Ah bon. Et day, tout le monde connaît, c’est le jour en anglais. Revenons à eco et collons-le à deux autres racines grecques, logie et nomie. Ecologie, la science de la maison, économie, la loi de la maison. Ok. Décodage immédiat : l’Eco-Day de Saint-Charles, c’est d’écologie qu’il va parler. Souvent, l’écologie et l’économie, elles sont côte à côte. La science sait, la loi oblige, les deux pourraient s’accorder. Mais logie et nomie n’ont pas toujours la même façon de voir les choses, les mêmes méthodes pour organiser la maison, ni les mêmes objectifs pour l’arranger et la ranger. C’est un peu ça le problème, et à Saint-Charles, pendant l’Eco-Day, on s’en est bien rendu compte.

C’est le troisième Eco-Day qui a lieu au lycée. Le premier, c’était au printemps 2022, le second à l’automne dernier, avec notamment des ateliers sur l’analyse de la qualité de l’air. Celui du 12 mai 2023 a duré toute la journée. Le moment majeur, c’était la COP, le monde entier rassemblé dans la salle polyvalente. Les ados qui gouvernent. (la COP, c’est la Conférence des Parties, ce sommet mondial sur l’avenir de la planète et le changement climatique, qui depuis 1995 est organisé chaque année, on y reviendra).

Ce qu’il faut déjà retenir de l’Eco-Day, c’est l’implication des lycéens et lycéennes pour l’organiser. Des semaines de préparation qu’ils et elles ont prise en charge. Bien sûr, il y a des profs autour. Mme Choffrut, la prof d’anglais, M. Potoudis, le prof de Sciences Economiques et Sociales, Mme Rebuffé, la prof de physique-chimie, et quelques autres. Ces profs sont là pour encadrer, accompagner, mais le moteur, ce sont les élèves. Le matin, premier rendez-vous à 8h pour un clean-up. Oui, encore de l’anglais. Peut-être parce que, à l’origine, l’Eco-Day vient d’une idée germée dans la section internationale, dont s’occupe Mme Choffrut. Mais dès la première année, le lycée entier s’y est investi. Au clean-up, environ 130 élèves, et 5 profs, avec l’aide matérielle de l’association 1 déchet par jour, ont fait un déblayage de tout ce qui traînait dans le lycée.

Y avait du stock. 16,5 kg de déchets recyclables, 62 kg de déchets non recyclables, 11 kg de verre et près de 200 mégots. Tous les niveaux, secondes, premières, terminales, ont pris part au clean-up, des élèves de presque chaque classe de l’établissement étaient présents. Saint-Charles c’est grand, on dirait un peu un village, du gymnase d’un côté à la cantine de l’autre, il y a des recoins partout, des allées, des terrains, des buissons, des bancs, des tables.


Les élèves ont fait le clean. Peut-être qu’il y en avait qui voulaient éviter d’aller en cours, n’empêche, venir exprès de 8 à 10, à plus d’une centaine pour ramasser des déchets, quelle que soit la source de la motivation, le résultat est là. Et première confrontation entre écologie et économie : consommer, ça crée des déchets qui se collent à la terre, s’accrochent aux buissons, abîment la planète.

Changer et prendre conscience
Alors consommons autrement. Par exemple en réduisant la production mondiale de textiles. Comment ? En réutilisant ce qui est encore en bon état. C’est le troc de vêtements, autre action de l’Eco-Day, qui a connu un grand succès. Ou en évitant d’entretenir l’industrie agro-alimentaire et son prêt-à-manger sous plastique. C’est le pique-nique fait maison, sans emballage et avec meilleur goût, au programme à midi pendant l’Eco-Day. Ou encore en provoquant la prise de conscience. Bien souvent, celle des jeunes est plus avancée que celle des générations précédentes. Mais il reste encore à convaincre. Le film Le parlement des choses du vivant y contribue. Projeté entre midi et deux, il relate un projet de pièce de théâtre, mené notamment par Mme Rebuffé avec une classe de seconde de Saint-Charles.

Pendant une semaine, les élèves ont travaillé avec l’équipe du Théâtre de la Cité, en compagnie de deux autres classes de Montgrand et du lycée des Calanques. Les élèves ont écrit un spectacle où la terre, l’eau, les végétaux, les animaux, dénoncent leur exploitation par la société marchande. A l’issue de la représentation, donnée au Théâtre Joliette, les élèves débattaient de ce que cette expérience leur avait apporté. La plupart disaient avoir encore plus ouvert les yeux, exprimaient leurs envie de changement et aussi leurs peurs. Sauf un jeune homme, qui reconnaissait avoir « appris de nouvelles choses, mais ça change pas ce que je fais. » Cette phrase, en décalage avec tout le reste de la journée, révèle aussi une réalité concrète : comment agir si, même quand nous savons que nous allons dans le mur, nous choisissons de continuer à aller dans le mur ?

Logie vs nomie
Ce paradoxe cynique, les élèves l’ont heurté de plein de fouet pendant leur simulation de la COP. Ecologie vs économie, toujours la même histoire. Dans la salle polyvalente, 150 lycéens et lycéennes le matin, une centaine l’après-midi ont animé une COP plus vraie que nature. Sûrement mieux que la vraie, d’ailleurs, mais hélas, comme la vraie, la leur aussi a échoué à aboutir à un accord satisfaisant pour la planète. Quinze délégations étaient représentées, pays ou groupements de pays, ainsi que la société civile, les peuples autochtones, des ONG (Organisations Non Gouvernementales) et le GIEC (Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat).

Les débats ont été aussi vifs qu’intéressants, les élèves prenant leur rôle très à cœur. M. Potoudis a coordonné l’organisation de cette COP, mais ce sont bien les élèves qui l’ont prise entièrement en charge, se sont documentés, ont préparé leurs interventions, les éventuelles alliances entre pays ou les positions à tenir, y compris secrètement. Ainsi, des lobbyistes avaient infiltré certaines délégations, comme un acteur de l’industrie pétrolière au sein de la délégation des états du Golfe, ou un représentant de l’industrie agro-forestière dans celle du Brésil. D’autres lobbyistes secrets étaient également présents parmi les délégations de la Chine, des USA et du Japon. L’écart entre urgence écologique et stratégies économiques n’en était que plus flagrant.

Valeria, l’une des référentes de la COP, faisait partie du lobby pétrolier des pays du Golfe. « Il fallait que les autres ne sachent pas à l’avance quels intérêts on défendait », explique-t-elle. Même si tout était finalement assez clair dans les prises de position, la présence de ces lobbyistes ajoutait du piquant aux échanges. Et bien sûr, leurs intentions étaient conformes aux volontés des pays auxquels ils étaient associés. Leur insistance à freiner les décisions rendait l’ambiance parfois houleuse, tant les élèves s’impliquaient dans leurs rôles. Aliona était de la délégation des USA, l’une des plus chahutées, ce qui ne l’a pas gênée. « J’ai bien aimé faire le méchant », lançait-elle en souriant à l’issue des débats. Maïa et Anouk, elles, ont apprécié de vivre l’événement de l’intérieur, « pour se rendre compte pourquoi des pays prennent autant de temps à prendre une décision. »

Accord impossible
Au lycée Saint-Charles aussi, les débats ont duré, mais aucun accord n’a pu être trouvé. Une résolution avait été rédigée le matin, elle était débattue l’après-midi. En jeu, lutter contre l’impact du changement climatique, réduire les émissions de gaz à effet de serre et le recours aux énergies fossiles. Des amendements au texte étaient proposés, ils devaient être adoptés à la majorité par les délégations de pays. La société civile, les peuples autochtones, les ONG et le GIEC prenaient part aux débats mais n’avaient pas de droit de vote. Un mot à changer, une phrase à ajouter ou supprimer, et les débats s’enflammaient. « Limiter » ou « interdire » les nouvelles productions et exploitations d’énergies fossiles, fixer une surtaxe pour les pays les plus pollueurs, établir les responsabilités selon le niveau de développement, intérêt économique et enjeu écologique étaient au cœur des discussions. Des amendements ont été adoptés, d’autres rejetés, et la version finale du texte, qui devait, elle, être votée à l’unanimité, n’a pas obtenu la validation de toutes les délégations. (voir le texte au bas de l’article)

La cause principale du blocage ? Le montant de la somme accordée par les pays riches aux pays les plus pauvres pour les aider à réaliser leur transition énergétique. 500 milliards de dollars, demandaient les pays pauvres, 100 milliards maximum, exigeaient les pays riches. Accord impossible, échec de la résolution. Ecologie vs économie, encore et toujours. Pendant l’une des interventions des membres de la société civile, une élève relevait : « Sans planète, il n’y a pas d’économie. Ce serait mieux de sauver la planète plutôt que l’économie ». La veille de la COP de Saint-Charles, le président de la République française annonçait vouloir « faire une pause sur la réglementation européenne des normes environnementales », pour faciliter l’implantation de nouvelles industries dans le pays. Et si on laissait plutôt des ados gouverner le monde ?

Jan-Cyril Salemi

Photos : Eco-Day Lycée Saint-Charles

Résolution COP Saint-Charles