Interview de Nicolás Roman Borre et Juliette Grimont, responsable et programmatrice du Gyptis, cinéma de la Belle-de-Mai à Marseille.
Quand a été créé le Gyptis ? Était-ce déjà un cinéma lors de sa création ? Y a-t-il eu des changements, et si oui, lesquels ?
Nicolás Roman Borre : Alors le Gyptis a eu plusieurs vies différentes ! C’est une salle créée à la base en 1913. Elle produisait des variétés, des représentations musicales. Le lieu a été ensuite un cinéma de quartier jusqu’en 1975. Puis il a été abandonné, c’était un espace délaissé, avant de redevenir en 1987 une salle de théâtre, jusqu’en 2013. Et en 2014, la Friche Belle-de-Mai a proposé aux collectivités que ce lieu se retransforme en cinéma. C’est la configuration actuelle depuis le 1er octobre 2014.
Pourquoi avoir choisi de s’implanter dans ce quartier assez populaire ?
Parce qu’il n’y avait pas de cinéma sur ce territoire et parce que beaucoup d’enfants et d’élèves d’écoles, collèges et lycées n’avaient pas l’accès à différents dispositifs d’éducation à l’image, qui dans d’autres quartiers existent, mais pas à la Belle-de-Mai. Et pour qu’une population, notamment les habitants du 3e arrondissement de Marseille, aient accès à la culture plus facilement. Aller par exemple à Plan-de-Campagne, aux Trois Palmes ou au Prado est vraiment loin de leurs possibilités.
Depuis quand êtes-vous responsable du cinéma, et comment l’êtes-vous devenu ? Quel est votre parcours professionnel ?
Je suis le responsable du cinéma depuis juin 2014, c’est-à-dire quelques mois avant son ouverture. Mon parcours est assez éclectique, parce que j’ai fait des études de droit, mais j’ai été actif dans de nombreux ciné-clubs. J’étais directeur national de ciné-club en Colombie, et en France j’ai obtenu un diplôme de BTS audiovisuel, une licence de communication média et web. J’avais aussi l’expérience de programmation de festival de cinéma. À la Belle-de-Mai, on avait un ciné-club qui animait des débats au Comptoir de la Victorine et dans quelques lieux culturels de la Belle-de-Mai.
Quels sont vos projets actuels et quels sont vos projets futurs ?
Nous travaillons sur un projet depuis pas mal de temps, qui s’appelle
« Du cinéma pour la planète ». C’est une programmation basée sur la problématique écologique environnementale. On propose une bonne vingtaine de films par an, avec souvent des débats, des rencontres. C’est une ligne que nous voudrions poursuivre. Après on a essayé de proposer des événements pour rapprocher jeux vidéo et cinéma. Le Gyptis est une salle pionnière en la matière. On voudrait également travailler sur l’art numérique et le cinéma, expérimenter des choses dans la salle, et donc nous sommes ouverts à des propositions dans le champ des nouvelles technologies, mais toujours avec un lien audiovisuel ou au cinéma important.
Un autre projet, peut-être, est passé inaperçu. Autour de Nausicaä de la vallée du vent (film de Hayao Miyazaki). Il n’était pas audio-décrit en France, alors nous l’avons fait. L’audio-description le rend accessible pour les personnes aveugles et malvoyantes. On a porté ce projet avec une association qui s’appelle La Luciole. Aucune salle en France ne voulait le faire parce que cela coûte beaucoup d’argent. Nous avons organisé une séance de restitution et on a proposé aux gens qui étaient dans la salle d’écouter avec des casques spécialement adaptés.
Est-ce qu’il y a des saisons distinctes avec une forte ou au contraire une faible fréquentation ?
À Marseille tous les cinémas ont le même problème pendant l’été. Même dans les salles qui fonctionnent plutôt bien. Dès qu’il commence à faire beau, c’est-à-dire fin avril, jusqu’à la fin août, les gens profitent de la plage, des calanques, des pique-niques. Donc il y a une chute de fréquentation dans toutes les salles de Marseille. La meilleure période, c’est quand il fait « froid » ; donc de fin octobre jusqu’à la mi-mars. Il y a plus de monde et de spectateurs par séance.
Comment faites-vous pour offrir des prix beaucoup plus abordables que dans la plupart des cinémas ?
En effet, on a des tarifs plutôt accessibles. Par exemple les moins de vingt ans, à n’importe quelle séance, paient 3,50€. Nous sommes dans un quartier en grande difficulté sociale et économique : si le tarif était plus élevé, les gens ne viendraient pas, ils n’ont pas les moyens nécessaires. Nous recevons des aides des collectivités publiques, Région PACA et Ville de Marseille en particulier, pour que l’on puisse proposer ce type de séance et que l’accès à la culture soit à égalité pour tout le monde. Sans ces soutiens-là, le cinéma ne pourrait pas fonctionner. C’est un cinéma qui n’est pas rentable en soi, il ne produit pas de bénéfice. On est plutôt dans l’esprit de faire une proposition culturelle, rendre service à la communauté. Je ne vais pas dire qu’on n’a pas besoin d’argent, on demande un prix pour l’entrée, mais ce n’est pas le but principal.
Quels sont les grands axes de programmation du cinéma le Gyptis ?
Juliette Grimont : Le Gyptis est une salle Art et Essai, donc nous montrons des films principalement de ce genre. Ce sont des films d’auteurs et d’auteures très variés, des premiers films, de la cinématographie africaine, asiatique ou sud-américaine qui est généralement peu diffusée. On montre aussi de nombreux documentaires et films à destination du jeune public, car il y a beaucoup d’enfants à la Belle-de-Mai.
Quel est le public visé et pourquoi celui-ci en particulier ?
On s’adresse bien sûr à tous les publics, en priorité un public local, celui du quartier de la Belle-de-Mai. Cela concerne beaucoup les familles qui viennent le mercredi ou le week-end, mais aussi des cinéphiles qui viennent de partout à Marseille et même d’en dehors de la ville, quand il y a des évènements phares avec des cinéastes plutôt connus. Le public n’est donc pas très ciblé, il est assez large.
En fonction de quoi faites-vous la programmation ?
En fonction de plusieurs choses : la qualité des films mais pas seulement. Il y a d’autres questions comme l’accès aux films ; parfois, on ne peut pas les programmer au moment de leur sortie parce que la priorité est donnée à des cinémas plus grands, avec plus de salles et qui peuvent diffuser plus de séances. On doit donc attendre que ces salles-là aient fini d’exploiter les films pour pouvoir les montrer. On a donc beaucoup de contraintes.
Quelle est votre stratégie de promotion des films ?
Pour parler des films, on le fait de plusieurs façons : tout d’abord on en parle dans la salle : dans le hall, on met des affiches de films, des synopsis, des critiques. On diffuse également des bandes annonces. On communique beaucoup grâce à internet, nous avons un site et une newsletter toutes les deux semaines. On utilise les réseaux sociaux, Facebook, Instagram et de temps en temps, on fait aussi de l’affichage dans le quartier.
Quels sont les éléments qui vous plaisent dans l’exercice de votre métier ?
J’aime le fait que ce soit un métier très varié car je regarde beaucoup de films et je les choisis. Il y a également des négociations commerciales avec les distributeurs où l’on essaie de se mettre d’accord sur le nombre de séances du film, comment on va répartir les recettes, le pourcentage. Il y a donc cette partie commerciale mais aussi le lien avec le public. C’est moi qui anime les rencontres avec les cinéastes donc j’aime bien faire le lien entre les créateurs et les spectateurs. Il y a aussi la partie projet en travaillant avec des acteurs locaux, les maisons associatives, la Maison pour tous, des écoles. Ce n’est pas seulement être sur son ordinateur et envoyer des mails, c’est aussi beaucoup d’appels, de réunions et de rencontres. J’aime bien cette variété-là.
Entretiens réalisés par Paloma Descamps-Sicre, Lise Marin et Ali Haridy
Octobre 2024
Photos : Cinéma Le Gyptis -c- XDR
Ces entretiens ont été réalisés par trois élèves du lycée Saint-Charles à Marseille. Il s’inscrivent dans le cadre d’un atelier journalisme animé par des membres de l’équipe de Qui Vive (Gaëlle Cloarec et Jan-Cyril Salemi) pendant l’année scolaire 2024-2025.