En route pour Manosque. Les Correspondances, 18° édition.
Cette année encore, le trajet Grenoble-Gap s’effectue en bus. Pas difficile de compter les passagers, à part une femme qui descend avant que nous ne quittions l’agglomération, nous sommes quatre, un jeune homme, lycéen sans doute, un homme sensiblement de notre âge, B. et moi.
Laissons de côté le lycéen.
J’entends l’homme sensiblement de notre âge, nous l’appellerons Henri, parler avec le chauffeur. Oui ils font des travaux sur les voies, moins longtemps que les autres années, cette tête de con de Wauquiez (1) voulait supprimer la ligne, Estrosi (2) n’était pas d’accord.
Henri explique qu’il va à Manosque, qu’il revient ce soir par le train qui quitte la ville à 18h10.
Nous parcourons donc le même trajet, deux heures d’attente à Gap puis bus à nouveau, sans doute avec changement de bus au relais routier de Peyruis. Je n’ai pas encore vu le vélo.
Le car est vieux, nous avons perdu l’habitude de ce niveau élevé de bruit, et bas de confort – le voyage en Pologne est déjà loin dans le temps, le corps oublie facilement l’inconfort. Le chauffeur respecte les arrêts dans de petites gares sans personnel, sans passagers non plus, à cette heure en
tout cas.
Gare de Gap. Nous descendons tous quatre.
Henri récupère dans l’un des coffres latéraux son vélo, un vélo bien ordinaire, sans doute un peu lourd ; moi qui n’y connais pas grand-chose, je vois bien qu’à part la composition de base, cadre, deux roues, selle, il a bien peu de parenté avec les VTT, VTC…que les prospectus déposés dans les boîtes à lettres nous vantent. La cagette attachée par un tendeur sur le porte-bagage me fait penser qu’Henri pourrait se rendre à son jardin ; elle semble contenir de vieux morceaux de tissu qu’il pourrait utiliser pour protéger une cloche de verre posée sur un légume fragile.
B et moi allons vers le centre-ville prendre un pot en terrasse et montons dans le bus à la gare routière ; avant de prendre la route de Sisteron, il passe par la gare SNCF où Henri et son vélo nous rejoignent.
Je n’ai pas encore dit qu’Henri porte les vêtements de tous les jours d’un homme retraité qui vaque à son quotidien, polo qui fut jaune, pantalon sans trop de forme, sans doute déjà portés un ou deux jours ; ses cheveux gris sont ramenés en catogan sur la nuque.
Entre Gap et Aix la plupart des bus font halte au parc-relais de Peyruis ; les bus de plusieurs lignes s’y croisent, amenant la plupart des passagers à changer de véhicule. Le vélo d’Henri prend de la place, on lui demande de reculer pour laisser les passagers, nombreux, monter ; le chauffeur du nouveau bus remarque que, normalement, les vélos doivent être dans une housse.
Gare SNCF de Manosque. Nous sommes nombreux à descendre, ils sont nombreux à monter. Henri s’est mis à l’écart avec son vélo, vérifie que tout va bien, que la chaine n’a pas déraillé, s’éloigne en pédalant.
Je n’ai finalement pas cédé à ma curiosité de connaitre les raisons du voyage d’Henri. Je n’ai pas cherché prétexte à lui parler.
Plus de six heures trente de trajet aller et quatre heures vingt de trajet retour pour trois heures quinze de temps disponible à Manosque. Que diable Henri est-il venu faire à Manosque ?
Sa tenue fait douter qu’il soit venu pour un enterrement ; sans doute se rend-il en dehors de la ville, sinon pourquoi transporter avec lui son vélo ; vient-il, justement, donner ou rendre son vélo à un membre de sa famille ; vient-il se recueillir sur la tombe d’un parent chéri, père, mère…à l’approche de la Toussaint ; vient-il rendre visite à une vieille amie ; vient-il… je ne saurai jamais….
Martine Cribier-Kozyra.
(1) président actuel de la Région AURA (Auvergne-Rhône-Alpes)
(2) président actuel de la Région PACA (Provence Alpes Côte d’Azur)