Le 21 septembre, c’était la journée de la paix. Ça laisse 365 jours pour la guerre, c’est pas mal (on est en année bissextile). Pour marquer le coup, le mouvement Nuit Debout Marseille, très actif entre avril et juillet, un peu moins ces temps-ci, organisait une marche. Point de départ, cours Julien, point d’arrivée, Canebière, devant le kiosque des allées Léon-Gambetta.
Là, la douzaine de personnes présentes (oui, pas plus), a couvert le sol de phrases écrites sur des affiches, et d’images, beaucoup d’images, de scènes de guerre. De celles qu’on voit tous les jours sur les écrans, qu’à force de voir et de trop voir, on ne voit plus. Collées par terre, des photocopies, en noir et blanc. Une femme balafrée de sang, un homme tenant un corps mort à bout de bras, des enfants mutilés, des cadavres alignés,….
Un gars s’est approché du petit groupe en train de coller, il a dit : « Cousin, c’est pas bien ce que vous faites. » Il s’est éloigné. Puis il est revenu sur ses pas, a attrapé une image au sol et est allé s’asseoir sur un muret tout proche. Il avait la photo en main, la regardait, en a fait une boule, l’a jetée. Et il s’est mis à pleurer. Tout doucement.
« Les gens, ils vont leur marcher dessus, c’est pas bien. » Il a commencé à parler. Il a raconté, beaucoup de choses. Certaines ne sont pas racontables. Admettons qu’il vient d’un pays d’Afrique, qu’il a dû fuir ce pays, pour telle raison, et qu’arrivé en France, toujours pour fuir, il s’est engagé dans la Légion Etrangère. Pendant cinq ans. Il était au Mali, en Syrie, avec l’armée française. « J’ai honte », il a dit. « Je les ai vus. » Il a craché au sol, fumé une clope et a continué à parler.
Une femme s’est avancée vers lui, elle a posé sa main sur son épaule. « C’est bien de pleurer, ça fait du bien », elle a dit. Il est resté encore un moment assis sur le muret. Il ne pleurait plus. Ne parlait presque plus non plus. Il regardait. En colère, mais apaisé. Des gens passaient, certains s’arrêtaient, discutaient, observaient les images, prenaient en photo les photos. Personne ne leur marchait dessus. Pour le moment. Le lendemain, elles seraient sûrement déchiquetées, éparpillées, envolées, noyées sous l’eau d’une vanne qui dégueule toute la matinée.
Le gars s’est levé. Il est allé vers les images collées au sol. Les a regardées, presque une par une. « C’est bien ce que vous faites », il a dit. Juste à côté, deux minots jouaient à se bagarrer. Le gars se tenait debout, autour des photos. Il a appelé une femme, à quelques mètres de lui. « Hé ! Ma sœur ! » Deux fois. « Hé ! Ma sœur ! » Elle a pas entendu. En tout cas, elle a pas levé la tête, pas répondu. Il s’est retourné. Puis il est parti.
Jan-Cyril Salemi
Marseille, 21 septembre 2016
Photo : © J.C.S