Je retrouve une sorte d’excitation en marchant dans l’enceinte du Palais des expositions, porte de Versailles, vers le hall dédié au Salon du livre, pardon Livre Paris, la manifestation est ainsi nommée désormais.
Objet et contenu sont constants, offrir un panorama de l’édition de livres francophones. Vaste espace, foule inégale, couleurs, banderoles, kakemonos, me laisser guider par le hasard, ou prendre le plan en cherchant les stands qui m’intéressent le plus, celui du Maroc invité d’honneur où je sais retrouver mon amie Halima Hamdane, conteuse, auteure, et son troisième roman, les stands des régions où je sais trouver les précieux petits éditeurs pour découvrir des écrivains dont les livres sont peu diffusés, invisibles même s’ils sont présents dans les librairies que je fréquente, souvent de petit format et noyés dans la masse.
Nouvelle Aquitaine, aucun nom de petit éditeur ne me vient à l’esprit; sur cette table, des ouvrages aux couvertures soignées, élégantes, modestes, envie tout de suite de les prendre en main, de feuilleter, lequel, Alberto Manguel, ses entretiens avec un de ses éditeurs, Claude Rouquet, je souris intérieurement, sans doute aussi sur mon visage au plaisir ressenti à l’itinéraire étonnant de cet auteur polyglotte à l’œuvre polymorphe, érudit, malicieux, chaleureux, qu’il écrive sur la lecture, les bibliothèques, l »Argentine natale ; Jean-Jacques Salgon l’ardéchois dont les écrits depuis ma vie des années soixante-dix me touchent par la simplicité à dire sans excès l’émotion de l’enfance ardéchoise, l’émotion à visiter la grotte Chauvet originale, à regarder encore et encore le travail de Basquiat… Nouvelle Escampette, ah là je situe mieux, pourquoi nouvelle… Elle est derrière la table, souriante, avenante, s’adresse à moi, me parle des entretiens de son mari avec Alberto Manguel, du plaisir que ce fut de les voir tous deux évoquer la vie peu ordinaire de l’argentin devenu canadien achetant un ancien presbytère poitevin pour y rassembler enfin les 30 000 livres de sa bibliothèque ; aujourd’hui requis pour diriger la bibliothèque nationale d’Argentine, comme Borges qui l’avait embauché comme lecteur, lui l’étudiant travaillant en librairie pour son argent de poche ; répondant à l’appel de sa nation natale, il a du vendre sa maison et les livres séjournent à nouveau dans des caisses.
Oui je l’ai lu il y a peu, ayant décidé de lire à nouveau du Alberto Manguel suite à la lecture de « une bibliothèque pleine de fantômes », j’ai emprunté à la bibliothèque tous les ouvrages disponibles de Manguel, j’y ai découvert les péripéties de sa vie ; puis j’ai poursuivi avec « la bibliothèque la nuit »ou comment ranger ses 30 000 ouvrages, tâche qui lui prit des mois, soucieux qu’il était de classification qui lui convienne autant que de cohabitation entre auteurs, titres, époques… Elle est animée par les souvenirs de son mari dont elle a accompagné la maladie pendant quatre ans, le désir de continuer à vivre dans et de son travail d’édition. Ah un livre de Jean-Jacques Salgon, je le lis depuis…plus de trente ans, ah vous le connaissez aussi….
Nous voilà engagées dans une conversation amicale, face à face, souriantes, emportées par le plaisir qui sourd de la rencontre, sans prévenir, pétillant, d’écrivain en écrivain, nous cheminons en complicité grandissante, je ne regarde plus les livres, je la regarde, nos yeux, nos regards, nos mots dialoguent dans cette qualité de reconnaissance amusée, tendre, distanciée qui découle de la découverte de lectures communes, intérêt et passion confondus.
La pensée me traverse de l’édition de livres d’artiste que nous avions réalisée en complicité avec Bernadette à l’enseigne de l’Entretoise, provoquant dialogue et rencontre entre peintres et écrivains, et puis non, je l’écoute elle, portée par sa foi inébranlable, joyeuse, dans la littérature, l’édition dite petite dont le carburant principal est l’écoute subtile de mots vivants, le désir de les porter en couches , d’en faire naître des fruits-livres, de ceux qu’on aime à toucher, à relire, à avoir sous les yeux.
Je commence seulement ma visite, je repasserai vous voir en fin de journée.
Un homme est assis à côté d’elle ; je ne sais plus où je l’ai vu, je le connais, mes yeux vont de lui à la table, parcourent les titres des livres en présentation, oui Jacques Lèbre, bien sûr ! J’ai un livre de lui édité par…La Feugraie, le titre parle de cerisiers je vois le livre, couverture blanche avec un liseré rouge l’encadrant, titre en caractère sobre, noir sur blanc « Face au cerisier ». Je vous ai déjà rencontré, je ne sais plus où, peut-être au Marché de la poésie….vous n’êtes plus facteur j’imagine, Ensuite j’ai été en centre de tri, aujourd’hui je suis retraité, oui, il est étonné, ébahi, une lectrice le reconnaît, peut-être pas la première fois tout de même…. Je repars avec deux livres, il faut savoir se limiter…. Cette journée à Livre Paris se referme comme elle a commencé, dans la chaleureuse relation humaine d’une éditrice passionnée, animée par le désir de continuer l’oeuvre commencée avec son compagnon, sans effacer l’empreinte de celui-ci, en y ajoutant la sienne, éditer des livres d’écrivains peu connus , porter leur oeuvre vers un public, Sylviane Sambor. Je découvre que la nouvelle Escampette créée à Bordeaux, vit aujourd’hui à Chauvigny, dans la Vienne, qui fut un de mes départements de résidence.