Neuf

Ce soir,
J’ai à l’idée un homme
Qui brûle dans sa bibliothèque

Tu sais, j’ai vu déjà
Un livre qui brûle, mais jamais
Des milliers, et l’homme, là,
Sa bibliothèque, c’était une pièce
Plus grande que sa chambre à coucher,
Et tout le papier se consumait,

Tu peux imaginer un local
Comme un wagon de train,
Par exemple,
Et au lieu des banquettes et des filets à bagages,
C’est des étagères et des rayons,
Et des classements par thèmes,

Tu vois,
Remplis de livres, de livrets, de carnets,
De pochettes, de classeurs, de cahiers,
Tu vois,
Et tout ça s’enflamme,
Et l’homme est au milieu de l’incendie,
Il ne sait pas la cause,
Il est au milieu des flammes,

Il n’appelle pas
Puisque les mots ne sortent pas,
Bon, c’est l’incendie,
Ça sert à rien de crier,
Il faut sortir, c’est tout,
Il se dit ça, l’homme,
Et il regarde les flammes, et les livres,

Il regarde et il boit
Ses dernières images,
Il regarde,
Il se souviendra,
Il regarde les flammes,
Il n’a pas peur,
Elles le lèchent,

Il faut marcher vers la porte,
Marcher vers la porte,
Porte, porte,
Les flammes le lèchent,
Il regarde, il profite,
Il sait que franchie cette porte,
Il ne verra plus jamais de sa vie,
Les flammes le lèchent,
Lèchent, lèchent,

Il avance et compte dans sa tête,
Un, deux, trois,
Il regarde, il avance,
Quatre, cinq,
Ses joues sont vermeil,
Six, sept,
En avançant, il voit un nom,
Un mot, un dessin,
Il regarde, il avance,

Il sait qu’une fois cette porte franchie,
Il ne verra plus jamais de sa vie,
La porte est proche,
Il ne court pas,
Il arrive, il a le visage irradié,
Il se souvient qu’il bat des cils,
Il manœuvre la poignée,
Il ouvre la porte,
Et se retrouve dans le noir
Total et infini,

Il se souvient la seconde
Avant de battre des cils,
Il se souvient l’instant
Où commence l’infini,
Il compte,
Huit, neuf,
A dix il ouvre la porte,

Il se souvient de neuf,
Neuf, neuf, neuf,
Il regarde, il voit,
Voit, voit,
Il se souvient de neuf,
La dernière image visible,
Elle est orange et parfumée,

Il se souvient de neuf,
Paupières asséchées,
Un au revoir à la lumière,
Une couleur et une odeur.

Jan-Cyril Salemi

En écho à ce texte, a été écrit le texte 9, à lire sur cette page.

« Comme un écho tout vif,
Enterré là, sous le massif… »
Tristan Corbière

Photo : J.C.S.

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