
Faire classe dehors est extrêmement bénéfique pour les enfants, qui apprennent à connaître et respecter les milieux naturels. Une proposition de loi vise à généraliser ce mode d’enseignement en France.
Benjamin Gentils, directeur de La Fabrique des communs pédagogiques, nous a adressé une tribune visant à rendre effectif le droit des enfants à grandir au contact de la nature. Qui Vive la publie ci-dessous.
TRIBUNE
Une aventure civique et politique s’est engagée en 2023 à Poitiers, à l’occasion de la première édition des Rencontres internationales de la classe dehors : celle d’écrire collectivement une loi pour inscrire durablement l’éducation au-dehors et au contact de la nature dans notre système éducatif.
Cette proposition de loi, fruit du travail commun entre la société civile et un groupe transpartisan de parlementaires, est sur le point d’être déposée à l’Assemblée nationale et au Sénat. Elle vise un objectif simple et ambitieux : changer la vie de 12 millions d’élèves.
A Marseille, à l’occasion de la seconde édition de l’événement qui rassemblait enseignants, éducateurs, élus et chercheurs engagés, cette dynamique a pris un nouvel élan. Elle repose sur un constat partagé : face au réchauffement climatique, à l’effondrement de la biodiversité et à la crise sanitaire et sociale que traversent nos enfants, le lien au vivant – humain et non humain – n’est plus un luxe, mais une nécessité.
Apprendre dehors et au contact de la nature, sur tous les temps de la vie de l’enfant, à la crèche, dans la cour de récréation, un potager pédagogique, un tiers-lieu ou en classe découverte, c’est apprendre autrement. C’est découvrir le monde par les sens, l’émerveillement, l’enquête, l’attention, l’ouverture à l’autre. C’est aussi ancrer les savoirs fondamentaux dans une expérience vivante du réel, qui stimule la concentration, la curiosité, l’apprentissage, développe la motricité, la confiance en soi, améliore les compétences langagières et mathématiques. C’est apprendre dans des conditions proches de la vie quotidienne, « en conditions réelles ». C’est, enfin, comme le montrent de nombreuses études, un levier puissant de santé publique, en luttant contre la sédentarité, le stress, l’exposition excessive aux écrans et les troubles de l’attention.
Déficit de nature
Mais aujourd’hui la France est à la traîne. Alors que des pays comme l’Allemagne, la Suisse ou les pays nordiques ont depuis longtemps intégré le plein air à leur pédagogie, les enfants français passent dix fois moins de temps dehors qu’il y a trente ans. Près de 40 % des enfants de 3 à 10 ans ne jouent jamais dehors en semaine. Ce déficit de nature engendre un isolement sensoriel, un appauvrissement de l’imaginaire, un mal-être croissant.
Il est temps de franchir un cap. Si des milliers d’initiatives existent partout sur le territoire – portées par des enseignants, des élus locaux, des animateurs, des associations –, elles demeurent trop souvent isolées, fragiles, dépendantes de la bonne volonté ou de projets temporaires.
Cette proposition de loi vise à rendre effectif le droit des enfants à grandir au contact de la nature, dans les structures de petite enfance, à l’école comme en dehors. Elle modifie plusieurs articles du code de l’éducation pour faire du dehors une modalité d’apprentissage reconnue, intégrée dans les projets d’école et les projets éducatifs territoriaux. Elle prévoit la création d’un réseau national de formateurs à la classe dehors, afin d’outiller les enseignants et les collectivités. Elle donne un cadre clair pour que l’école devienne un acteur majeur de la transition écologique et de la santé publique.
Cette loi n’invente pas un nouveau privilège pour quelques-uns : elle corrige une inégalité croissante. Nous voulons que tous les enfants de la République, où qu’ils vivent, puissent sortir, explorer, toucher, observer, comprendre, aimer le monde vivant. Ce droit fondamental ne peut dépendre ni du milieu social, ni du territoire, ni du hasard d’une initiative locale.
Il ne s’agit pas d’une loi de plus. Il s’agit d’un basculement : celui qui fait du vivant une part pleine et entière de l’expérience scolaire. Celui qui réconcilie nos enfants avec leur environnement, leur territoire, leur époque. En inscrivant le dehors et la nature dans la loi, nous faisons le pari d’une école plus vivante, plus juste et plus joyeuse, de la petite enfance à l’université. Une éducation à la hauteur des défis qui nous attendent.
Premiers signataires : Véronique Andrieux, directrice générale de WWF France ; Colombe Brossel, sénatrice (PS) de Paris ; Philippe Descola, anthropologue, professeur émérite au Collège de France ; Benjamin Gentils, directeur de La Fabrique des communs pédagogiques ; Sylviane Giampino, présidente du Conseil de l’enfance et de l’adolescence, vice-présidente du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge ; Nadège Havet, sénatrice (Renaissance) du Finistère ; Florence Hérouin-Léautey, députée (PS) de Seine-Maritime ; Jérémie Iordanoff, député (Les Ecologistes) de l’Isère, vice-président de l’Assemblée nationale ; Fatiha Keloua-Hachi, députée (PS) de Seine-Saint-Denis, présidente de la commission des affaires culturelles et de l’éducation ; Hélène Lacassagne, présidente de La Ligue de l’enseignement ; Monique de Marco, sénatrice (Les Ecologistes) de Gironde, vice-présidente de la commission de l’éducation ; Graziella Melchior, députée (Renaissance) du Finistère ; Léonore Moncond’huy, maire (Les Ecologistes) de Poitiers.
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