Fort heureusement, le soleil inonde les rues de Marseille pour m’apporter une coulée de chaleur. Sans lui, à la lecture des dernières nouvelles, une douche glacée s’abattrait sur mes épaules. Un quart des enseignants en grève tous degrés confondus et pas un mot dans le flot de l’info. Et sur les ondes, ce n’est pas mieux. Un silence radio assourdissant à propos des lois Blanquer. Comme si ces milliers de profs dans la rue ne s’imprimaient plus sur la page blanche de l’actualité tels des vampires fantomatiques dans le reflet du miroir. Invisibles ! Plus transparents que l’eau de pluie !
La seule qui possède encore un peu le shining, c’est bien entendu Nicole Ferroni mais, sur ce coup (émission du 20 mars 2019), je ne partagerai avec vous aucun extrait. Non pas qu’elle me déçoive, je l’adore toujours, mais aujourd’hui, à travers cet espèce de brouillard qui vient d’engloutir des cargaisons de manifestants, je la perçois plutôt comme l’incarnation du fou du roi. Ferroni, l’amuseuse, l’alibi à toutes les injustices, une espèce de Zorro marseillais, la bonne conscience des tyrans.
Tu m’excuseras, la nine ? Si je pousse cette gueulante, ce n’est pas contre toi mais contre le système qui t’emploie, contre ceux qui préfèrent diffuser la parole par essence légère d’une saltimbanque pour mieux faire taire la verve d’une oratrice.
Aussi sensée que soit ton analyse, tu la portes depuis la scène d’un théâtre et c’est là toute la différence. Elle peut être facilement remise en cause (au demeurant, Demorand ne s’en prive pas). Elle passera pour de l’à peu près, au pire pour l’expression d’un bon mot, une galéjade et c’est pour cela qu’elle est tolérée par le pouvoir. Parce qu’au fond, elle est aussi transparente que les milliers de pékins défilant dans la rue.
Pour être crue, il faudrait que tu y mettes du punch. Selon les conseils de Julia, un bon coup de poing dans la tronche de Demorand. Oups, surtout ne le fais pas, chichourle, je ne veux pas être la cause de ton licenciement. Tu vois, moi aussi, j’en viens à me moquer mais se moquer ne suffit plus. Il faut montrer et démontrer. Et après l’humour, il faut savoir persuader et fédérer.
Les fous des rois étaient souvent d’habiles conseillers mais ils restaient dans leur ombre. Caron de Beaumarchais, l’un des plus célèbres, était un écrivain remarquable et l’un des proches les plus écoutés du monarque. Pourtant sa parole trop futile ne contribua ni à rassembler autour de lui ni à infléchir la politique du royaume. En revanche, Voltaire dont Caron fut l’éditeur, Rousseau et des tribuns tels que Mirabeau, St Just, Danton et Robespierre conduisirent le peuple à la révolution.
Désolé, Nicole, je t’aime bien mais tu ne fais pas le poids, toi la réincarnation de Caron, tu ne peux pas être celle qui mettra en lumière tout notre peuple invisible. Il faudrait que tes étincelles de bon sens pollinisent dans tous les médias et que l’on voie pousser à la place des Salamé et des Demorand, toute une rangée d’Olympe de Gouges, de Victor Hugo, de Zola, de Sartre ou de Simone de Beauvoir et là même l’invisible redeviendrait visible !
Jean-Pierre Bertalmio
Mars 2019
Photo : X D R