Lettre de remerciement à l’attention de l’espèce n° 7 968 204

Très chère espèce n° 7 968 204,

Je suis touchée par votre volonté, je cite, de « me protéger », « me préserver », voire carrément de « me sauver ».

C’est mignon tout plein et j’en suis sincèrement émue. Qu’une espèce aussi incroyablement minuscule que la vôtre exprime l’intention de venir à mon secours, je trouve cela d’un romantisme délicieux, quoique complètement loufoque, cela dit sans vouloir vous vexer bien sûr.

C’est pourquoi, en réponse à cette touchante sollicitude, je prends ma plume aujourd’hui afin de vous rendre autant que possible la pareille. Donc, d’une part, je tiens à vous rassurer à mon sujet, et d’autre part, j’aimerais vous inviter plutôt à vous préoccuper de toute urgence de vous-même, des quelques 11 millions d’autres espèces qui vous entourent ainsi que de toute la vie organique… dont vous dépendez, en fait.

Mais d’abord, j’ai envie de vous rappeler quelques informations me concernant.
Mon volume est d’environ 1,083 21 × 1012 km³, ce qui fait que je suis toute petite, mais j’ai une vie trépidante. En effet, ma tribu (que vous appelez le Système solaire) et moi filons à 30 km par seconde (108 000 km/h) dans l’espace en moyenne. Nous faisons tout plein de rencontres passionnantes, et figurez-vous que je ne me suis jamais trouvée 2 fois au même endroit depuis que je suis née, il y a 4,6 milliard d’années !

Mon « espérance de vie en bonne santé » – comme vous dites – est de l’ordre de 10 milliards d’années en tout, ce qui me laisse encore 5 milliards d’années à vivre au minimum.

Notre prochaine étape, m’ont expliqué les plus grands, c’est de ne faire plus qu’un, un jour, avec notre « mère » (que vous appelez le Soleil). Ce sera une autre aventure, une autre vie !

Donc, vraiment, ne vous en faites pas pour moi.

Par contre, vous devriez beaucoup vous inquiéter pour vous.

Je ne sais pas trop comment vous le dire, mais il semble bien que votre espèce soit condamnée à l’extinction d’ici 1 à 2 siècles. Un de vos anciens scientifiques notamment, Frank John Fenner, l’a d’ailleurs pressenti avant sa mort.

Cette extinction prématurée probable ne sera pas de mon fait, je tiens à le préciser, mais plutôt du vôtre. C’est que vous avez l’air d’être sacrément d’une humeur massacrante, pour de si petits êtres !

Si je devais vous donner une image de votre situation, simpliste et pas à l’échelle, je dirais que vous êtes comme une espèce de poux, présente sur la tête d’un seul être humain, qui serait en train de couper à ras tous les cheveux de cette tête.

La tête (moi !!) n’est pas en danger, et les « cheveux » repousseront, mais le temps qu’ils repoussent, l’espèce de poux aura malheureusement disparu…

Vous m’en voyez sincèrement désolée, d’autant plus que je ne peux rien faire pour vous.

Je ne me permettrai pas de juger de votre motivation à massacrer le monde minéral, végétal et animal qui vous entoure. J’imagine que si vous êtes à ce point en conflit avec eux, c’est qu’ils vous ont sans doute gravement offensé par le passé.

Je me permets simplement de vous faire remarquer que votre vengeance manifeste se terminera à n’en pas douter par ce que vous appelez « une victoire à la Pyrrhus ».

Je vous recommanderais bien de tenter une migration vers d’autres « têtes », comme font les vrais poux. Hélas, et c’est là la cruelle limite de mon image simpliste, il n’y a vraiment aucune autre tête habitable pour vous qui soit à votre portée. C’est là un fait que même vos minuscules scientifiques connaissent.

Vous savez, je dois vous avouer que je n’ai pas choisi l’image des poux par hasard. En effet, ma tribu m’appelle affectueusement « La petite pouilleuse », parce que je suis recouverte de tout plein de petits parasites depuis un certain temps (les 11 millions d’espèces !). Avant, c’était mon frère (Mars, pour vous) qu’on appelait comme ça, mais c’est une autre histoire.

En tout cas, je peux vous assurer que je garderai dans un coin de ma mémoire le souvenir de votre espèce, et je vous prie surtout de recevoir l’expression de toute ma sympathie ainsi que de mes plus vifs regrets.

Cordialement,

‘‘La petite pouilleuse’’


Texte : Eric Marquez
Dessin : Mélodine M.A.-Marquez