Une vallée oubliée

« La manière dont les gens votent indique que la plus grande part d’entre nous est complètement inconsciente de la réalité de la situation. »



Le monde est une vallée
, recueil des Chroniques de Stéphane Foucart, un livre pour comprendre les limites des politiques environnementales en France. Recension et entretien avec l’auteur.

Certains ricanent encore que l’on fasse si grand cas de la question climatique. Jusqu’à la prochaine canicule” écrit Stéphane Foucart, le 27 juin 2017, alors que le thermomètre européen indique plus de 40° Celsius en août, température bien au-dessus des normes attendues.

Né en 1973, Stéphane Foucart est un journaliste et auteur français, spécialisé dans les sciences de l’environnement. Son dernier ouvrage, Le monde est une vallée (éditions Buchet-Chastel, 2023), regroupe ses chroniques mensuelles parues de 2013 à 2023 dans le quotidien Le Monde. Celles-ci dénoncent avec une pointe d’ironie comment nos sociétés contournent la question de la crise climatique, en inventant des stratagèmes justifiant leur inaction. Cependant, le dérèglement climatique quant à lui ne s’est pas figé cette dernière décennie. Encadré par une préface signée Jil Silberstein et une postface, le livre, séparé en différentes parties, à savoir La guerre au vivant, Le climat et Pouvoirs, offre plusieurs angles d’attaques.

POURQUOI LIRE LE MONDE EST UNE VALLÉE ?

Stéphane Foucart, à travers ses chroniques, nous emmène faire une rétrospective de ces dix dernières années pour décrypter les grands événements environnementaux qui ont marqué nos sociétés. Ce voyage dans le temps recèle de nombreuses qualités. En effet, rien que l’initiative de regrouper ces chroniques par ordre chronologique donne une ligne directrice au lecteur. Cela permet aux jeunes de se documenter sur des événements antérieurs à leur naissance. Prendre en compte le passé est indispensable pour appréhender le présent et le futur, c’est pourquoi ce livre est très important, si l’on souhaite aborder la question de la gestion de la crise climatique avec un regard plus large.

Prenant la forme de courts articles, il est en rupture avec un livre d’analyse conventionnel, qui peut décourager certains. Au contraire, chaque article est doté d’un titre qui pique notre curiosité et d’une structure claire. De plus, les acronymes sont explicitées et les sources citées. Impossible de se perdre !

Bien que chaque chronique aborde un thème différent, elles sont toutes reliées par le fil rouge temporel, ce qui dynamise la lecture. De ce fait, il est plus aisé de suivre l’évolution d’un événement précis, d’analyser les changements de position des politiques, de l’avis public… Parmi les sujets les plus abordés, la question de la régulation des pesticides “tueurs d’abeilles”, les néonicotinoïdes, arrive en haut de la liste. “Quant à savoir pourquoi un laxisme réglementaire aussi invraisemblable a perduré plus d’une quinzaine d’années, alors même que les apiculteurs donnaient l’alerte sur les dépeuplements massifs de leurs ruches… ce sera probablement l’objet d’une prochaine chronique” écrit le journaliste en octobre 2013, à propos de la manière aberrante dont les agrochimistes assurent de l’inoffensivité de leurs insecticides. En effet, les néonicotinoïdes sont jugés “à faible risque” puisque les abeilles seraient “seulement” quotidiennement exposées à hauteur d’un dixième de la dose qui leur est fatale. En comparaison, cela reviendrait à dire que l’homme ne court aucun risque de santé à fumer cinq paquets de cigarettes par jour, sous prétexte qu’en fumer quinze le tuerait !

Enfin, une mention spéciale est accordée pour la postface qu’on vous laisse découvrir par vous-mêmes, promis, elle fera réfléchir plus d’un…

Sidonie Saive
Janvier 2024

À lire :
Le monde est une vallée, Chroniques 2013-2023
Stéphane Foucart
Éditions Buchet-Chastel, 22,50 €


ON DONNE LA PAROLE À L’AUTEUR

Afin de conclure cet article, une interview avec Stéphane Foucart a pu être réalisée.

Sidonie Saive – Selon vous, quel est le plus grand défi environnemental que devra affronter la prochaine génération ?

Stéphane Foucart – Je pense que le plus grand défi environnemental que devra affronter la prochaine génération sera le résultat de la conjonction de deux phénomènes, le réchauffement et la destruction du vivant, qui vont de plus en plus se potentialiser mutuellement et s’entretenir.

Avez-vous remarqué une augmentation de la prise de conscience ou des actions des citoyens depuis le début de vos publications de chroniques ?

Non, je pense qu’il n’y a que très peu de prise de conscience de la réalité de la situation. La seule chose dont les citoyens semblent conscients est ce qui finit par leur arriver personnellement du fait de la crise écologique et de la gestion catastrophique des territoires et des modèles de production. Et encore, il semble difficile à la société de comprendre les causes de ce qui lui arrive : par exemple, les récentes inondations dans le Nord-Pas-de-Calais n’ont pas provoqué de débats ou de discussions politiques d’importance sur les aménagements du territoire (bétonisation, artificialisation des sols, arrachage des haies, agrandissement des parcelles agricoles, etc.). De façon générale, la manière dont les gens votent indique que la plus grande part d’entre nous est complètement inconsciente de la réalité de la situation.

Quel impact aura la COP 28 sur le plan écologique ? Comptez-vous rédiger un article sur le sujet ?

La COP 28 n’aura aucun impact. Et au-delà de mes chroniques, qui sont des points de vue, je ne couvre plus la question climatique : si quelque chose doit être écrit là-dessus, ce sera le fait de mes collègues chargés du climat !

Enfin, comment expliquez-vous l’incapacité des forces politiques à s’accorder pour prendre des décisions à la hauteur des enjeux climatiques ?

C’est un sujet de thèse en sciences politiques ! En une phrase, je dirais que nos sociétés occidentales construisent leur description du monde grâce à des notions et des instruments issus des sciences économiques (PIB, croissance, emploi, pouvoir d’achat, état des places boursières, etc). Dans cette représentation du monde, dont les sciences naturelles sont absentes, les choses inquiétantes sont donc le décrochage des indicateurs économiques, pas celui des variables de l’environnement que sont le climat, la contamination généralisée des milieux par des substances de synthèse dangereuse ou l’écroulement de la biodiversité…

Propos recueillis le 9 janvier 2024


Cet article a été rédigé par une élève du lycée Saint-Charles à Marseille. Il s’inscrit dans le cadre d’un atelier journalisme animé par des membres de l’équipe de Qui Vive (Gaëlle Cloarec et Jan-Cyril Salemi) pendant l’année scolaire 2023-2024.