Vol au-dessus du nid d’un oiseau virtuel

Quand j’étais ado, allez savoir pourquoi, j’écoutais avec un certain plaisir les chansons de Sardou. Combien de fois me suis-je retrouvé dans la peau du petit pensionnaire du « Surveillant des classes secondaires » ? Fantasme de gamin… Mais l’une de ses mélodies qui m’a le plus marqué, reste « Je vole ». S’élever pour s’échapper, partir loin jusqu’au bout de ses ailes. Prendre le vent pour atteindre l’inaccessible. Oublier son corps. Devenir évanescent. Les ados sont souvent mystiques et cette décennie nous porte vers l’immanence.


« Le vingt et unième siècle sera spirituel ou ne sera pas. » Cette phrase d’André Malraux m’a toujours hanté. Hélas, le rêve s’est transformé en cauchemar. Ce siècle est de toute évidence plongé dans un bain de spiritualité mais si le processus se poursuit, il ne sera plus.
Nous vivons dans l’illusion, nous sommes tous devenus des ados hallucinés au bord du dédoublement de la personnalité. Nous vivons entourés de faux semblants qui nous donnent la sensation de fantasmer notre vie, la publicité, la religion, le jeu, les médias, la réalité augmentée, les psychotropes, drogues et médicaments. Nous nous comportons comme des velléitaires à tendance schizophrénique.
Nous sommes entraînés vers des univers immatériels, des croyances incertaines, gagner au loto, croire en l’au-delà, s’en remettre à nos machines prédictives, nos ordinateurs et nos systèmes experts…
Nous déléguons notre quotidien à des gourous, politiques ou religieux. Nous virtualisons notre avenir. Nous n’avons plus aucune prise sur la réalité, sur notre travail, sur nos sources de revenus, sur notre environnement, sur notre famille et sur notre couple. Tout passe par des intermédiaires, Pôle Emploi, les systèmes bancaires, leurs prêts toxiques et leur monnaie immatérielle, les assurances, les décrets, les règlements et les codes (y compris celui du travail), le commerce de masse, les conseillers scolaires, matrimoniaux et financiers, les psys, les assistantes sociales si ce ne sont pas des sorciers, des voyants ou des prêcheurs.

Nous vivons par procuration, sous narcose, sous influence, sous tutelle. Notre espace de liberté se réduit tout en nous donnant l’illusion qu’il s’agrandit. Nous sombrons dans une forme de spleen qui nous ôte nos dernières tentations de réaction. Nous ne croyons plus en la réalité, alors, nous préférons y échapper en nous réfugiant un peu plus profondément dans nos univers imaginaires. D’où l’engouement croissant pour les jeux vidéo, Facebook, les croisières, les parcs d’attractions à thèmes, et bien entendu pour toute forme de spiritualité, des sciences occultes à la religion emmenée par des fanatiques sectaires aux instincts de mort.
Nous volons dans la cage d’un système qui vole notre vie tout en essayant d’échapper aux contingences d’un monde où les oiseaux n’ont plus leur place.
Le monde du vingt et unième au cerveau malade, de spirituel est devenu dément. Il est temps de réagir et de sortir de cette pensée fantasmagorie. Il est temps de prendre son envol. Comme l’oiseau qui va bâtir son nid. En espérant qu’il reste encore un arbre !

Jean-pierre bertalmio